Après six ans d’absence et de nombreuses péripéties judiciaires, l’ex-président Jacob Zuma revient sur le devant de la scène en Afrique du Sud, aux commandes de son nouveau parti le MK.
Dans un pays fracturé sociologiquement et exsangue économiquement, Zuma pourrait bien, à défaut d’être l’homme providentiel, incarner la concorde. À la surprise générale, décembre 2023 a vu la naissance du MK (uMkhonto we Sizwe), un OVNI sur la scène politique actuelle qui veut incarner au plan politique et symbolique la continuité de l'ancienne branche armée de l'ANC (African National Congress). Ce mouvement est actuellement porté par Jacob Zuma, ex-président du pays sous la bannière de l’ANC de 2009 à 2018.
L’homme et le parti émergent dans un contexte de tensions accrues et d'incertitudes économiques, promettant de redessiner le paysage politique d’une Afrique du Sud au taux de chômage le plus élevé au monde (33%).
Jacob Zuma est une figure emblématique de la politique sud-africaine. Son engagement politique commence dès 1959 lorsqu'il rejoint l’ANC et se renforce avec son adhésion à uMkhonto we Sizwe, la branche militaire, en 1962. Arrêté la même année, il passe dix ans sur l'île-prison de Robben Island, marquant ainsi son engagement contre le régime ségrégationniste de l'apartheid.
Après sa libération, Zuma vit en exil, contribuant à l'ANC depuis des bases en Swaziland et au Mozambique avant de s'installer à la tête du département de renseignement de l'ANC à Lusaka, Zambie. De retour en Afrique du Sud avec la levée de l'interdiction de l'ANC en 1990, il grimpe rapidement les échelons du parti, devenant vice-président de l'ANC en 1997, puis vice-président de la nation en 1999 sous la présidence de Thabo Mbeki.
La présidence de Zuma, de 2009 à 2018, est marquée par des succès et des controverses, notamment des accusations de corruption et une politique économique parfois critiquée. Cependant, ses politiques sur le VIH/SIDA et sa contribution à l'intégration de l'Afrique du Sud dans le groupe BRICS sont vues comme des points forts de son mandat. Sa présidence se termine par sa démission en 2018, sous la pression de son propre parti et suite à des accusations de corruption liés à la famille Gupta, un cas de "capture de l'État" qui a profondément marqué l’administration.
Le retour du Président
Son retour en politique par le biais du MK semble viser à reconquérir une base électorale désillusionnée par l'actuelle direction de l'ANC sous Cyril Ramaphosa, qui peine à satisfaire les attentes de ses électeurs. Le MK, déjà crédité de 15% dans les sondages récents, ne cesse de grimper et pourrait bien être la clé d'un futur gouvernement de coalition, une première pour le pays.
Le parti semble capter une partie significative de l'électorat traditionnel de l'ANC, celui-là même qui est déçu par les résultats économiques actuels et les promesses non tenues. L'implication de nombreux anciens élus et fidèles de l'ANC dans le MK signale un profond schisme au sein du parti historique, avec des implications majeures pour son avenir.
Zuma, malgré son passé controversé, conserve une forte popularité parmi certaines couches de la population, notamment dans les régions rurales et parmi les communautés zouloues. Son retour pourrait donc non seulement perturber la dynamique politique actuelle, mais aussi offrir une forme de continuité avec l'époque où l'ANC était perçu comme le champion des opprimés.
De plus, le positionnement intelligent de Zuma, populiste et attrape-tout, lui permettra de s’allier avec l’ANC, mais également avec n’importe lequel des partis d’opposition. Les élections générales du 29 mai promettent d'être un baromètre crucial pour l'avenir de l'Afrique du Sud. Avec l'ANC en position de faiblesse et le MK en ascension, le paysage politique semble à l’aube d’une transformation.
Si Zuma réussit son pari, il pourrait non seulement revenir au pouvoir mais aussi redéfinir les alliances politiques dans une nation en quête de renouveau et de stabilité. L’ANC, pour sa part, se trouve à un carrefour critique. L'ascension du MK et la popularité retrouvée de Zuma représentent un défi majeur, qui pourrait soit revitaliser le parti par une introspection nécessaire, soit le mener à une fragmentation irréversible. Dans ce contexte, la prochaine élection ne sera pas simplement un test de popularité, mais un véritable juge de paix pour l'avenir de l'ANC et, par extension, pour celui de l'Afrique du Sud elle-même.