Au marché d'Adjamé, l'un des plus grands marchés d'Abidjan, des centaines de moutons attendent d'être sacrifiés pour l'Aïd al-Adha, la grande fête musulmane célébrée dimanche. Cependant, les crises sécuritaires qui secouent le Sahel, d'où proviennent la majorité de ces animaux, compliquent considérablement leur acheminement en Côte d'Ivoire.
Yaya Ouattara, un commerçant de moutons, raconte les difficultés rencontrées pour faire venir son bétail du Burkina Faso par camions. À chaque trajet, il doit tenter d'éviter les groupes armés qui frappent régulièrement ce pays voisin. "Ils nous volent, ils nous tuent", déplore-t-il, expliquant qu'il est contraint d'emprunter des chemins détournés, rallongeant ainsi considérablement la durée du voyage.Moussa Dicko, un autre commerçant, a lui aussi rapporté ses bêtes du Mali. En raison des risques encourus, les coûts de transport et d'entretien des animaux ont grimpé, faisant passer le prix des moutons de 120.000 francs CFA (182 euros) à 200.000 francs CFA (304 euros) par tête. "Les clients nous parlent mal et ne comprennent pas qu'on prend des risques", ajoute-t-il, déplorant l'incompréhension des acheteurs face à cette hausse des prix.
Selon Jean-Pierre Konan-Banny, conseiller au ministère des Ressources animales et halieutiques, "plus de 90% du bétail consommé pendant la fête de Tabaski" - nom donné en Afrique de l'Ouest à l'Aïd al-Adha - provient des pays du Sahel. Le ministre Sidi Tiémoko Touré confirme que "la production nationale ne couvre que 44% des besoins en viande et abats" annuels, obligeant la Côte d'Ivoire à recourir à des importations, principalement du Burkina Faso, du Mali et du Niger.Cette dépendance s'accentue chaque année à l'approche de l'Aïd, avec une demande estimée à 350.000 têtes pour tout le pays en 2023, dans un contexte où plus de 40% de la population ivoirienne est musulmane.
Le long de la frontière nord de la Côte d'Ivoire, partagée avec le Mali et le Burkina Faso, l'élevage de bétail est "l'une des principales activités", selon un rapport de l'Institut d'études et de sécurité (ISS). Cependant, "le contexte socio-politique actuel" des pays du Sahel "pose de sérieux défis à notre approvisionnement", estime le conseiller Konan-Banny.Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont en effet en proie à des violences terroristes depuis une dizaine d'années. Au Burkina Faso seul, elles ont fait plus de 20.000 morts, civils et militaires. De plus, ces trois pays sont dirigés par des régimes militaires regroupés au sein de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), dont les relations sont tendues avec certains voisins, comme la Côte d'Ivoire.Au Niger, le pouvoir issu d'un coup d'État en juillet 2023 a été lourdement sanctionné économiquement et financièrement jusqu'en février par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), perturbant davantage les flux commerciaux habituels.
Face à cette dépendance aux importations, le gouvernement ivoirien cherche à augmenter progressivement sa production locale. Selon M. Konan-Banny, plusieurs mesures ont été prises, notamment la création de "comités de veille" sur "l'approvisionnement des marchés" et le "renforcement du contrôle des prix du bétail".De plus, 23 projets d'élevage ont été lancés dans deux régions du nord pour augmenter la production nationale de 16% d'ici 2030, affirme Nicolas Bosson Aboly, un responsable de leur développement et enseignant-chercheur en agronomie à l'université de Korhogo.Cependant, plusieurs défis persistent, comme l'urbanisation du sud du pays, le nombre croissant de terres occupées par les cultures fourragères et vivrières, ainsi que les conflits communautaires entre agriculteurs et éleveurs.Au Sénégal, pays majoritairement musulman (94%) qui importe également des moutons du Mali et de la Mauritanie, la question de l'autosuffisance se pose également. Le président Bassirou Diomaye Faye a déclaré lundi à Dakar qu'il faut "travailler à être totalement autosuffisant" et "même excédentaire pour approvisionner d'autres pays".