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Ukraine : l’Algérie au centre de l’axe géopolitique gazier ?

La crise ukrainienne a des conséquences sur la fourniture en gaz de l’Europe. Le Vieux-Continent se tourne progressivement vers l’Algérie pour compenser le déficit énergétique. Alger se place au centre de la bataille énergétique.

Le gaz, qui représente un peu plus de 17 % de l’énergie mondiale, est contrôlé à 70 % par treize pays, dont cinq africains — Algérie, Libye, Nigéria, Egypte et Guinée équatoriale. Réunis sous la bannière du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), ces pays ont tenu leur 6e sommet à Doha, au Qatar, de dimanche à mardi.

« Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito », disait Einstein. Et par la force du hasard, les plus grandes puissances gazières du monde se réunissaient au moment même où l’Ukraine est confrontée à une grave crise. Et alors que la domination occidentale commence à battre de l’aile, la menace d’une nouvelle Guerre froide plane.

Et si, au centre de cette guerre, le gaz naturel était l’un des enjeux ? Et si l’Algérie avait un rôle à tenir, de trait d’union entre les blocs ? Avec la Russie et l’Iran, l’Algérie fait désormais partie d’un axe tiers-mondiste homogène, qui ne cesse de prendre de l’importance en Afrique et dans le monde.

Le GECF cimente le tiers-mondisme

Le GECF est, en quelque sorte, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) du gaz… Mais pour l’Union européenne (UE), dépendante à plus de 55 % du gaz naturel de l’Algérie et de la Russie, la situation est complexe.

Lorsque la major étatique algérienne Sonatrach avait, en 2007, signé son alliance avec la société russe Gazprom, c’est le journaliste ukrainien Roman Kupchinsky qui annonçait la naissance de l’« OPEP du gaz ». Et maintenant que le bras de fer entre Moscou et l’OTAN a privé l’UE d’une grande partie de sa fourniture en gaz, l’Europe n’a qu’une solution : se tourner vers l’Algérie.

D’autant que les Etats-Unis se sentent peu concernés par le volet gazier de l’impasse ukrainienne. Washington envisage des sanctions contre Moscou, alors que Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance de deux régions ukrainiennes pro-russes ce lundi. Autant dire que les intérêts énergétiques européens passent au second plan pour l’administration Biden.

Lire : Algérie-Russie : commerce, gaz… et armes hypersoniques ?

Sur le plan diplomatique, si un rapprochement entre l’Iran et le Qatar menace les intérêts occidentaux, la diplomatie du Parti démocrate de Joe Biden fait que, aujourd’hui, les Etats-Unis pensent plus à conclure l’accord nucléaire iranien en cours de négociations qu’à faire prévaloir les intérêts de leurs alliés arabes.

Ainsi donc, le GECF 2022 s’est tenu dans un contexte particulier. Les principaux pays producteurs de gaz, sous la pression occidentale, se retrouvent dans une position de force dans leurs rapports avec les Etats-Unis. Ou, du moins, libres de faire le choix de l’union, en dépit de la volonté de l’UE, qui ne peut qu’observer la situation sans véritablement avoir de pouvoir décisionnel.

Pas de baisse des prix

Au sommet du GECF, donc, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, conscient de l’importance de sa position dans l’actuelle crise gazière, a tenu un discours lourd de sens. « Mon pays est connu pour être un distributeur fiable de gaz (…) et compte le rester », a déclaré Tebboune. Avant de poursuivre : « le Forum doit devenir un acteur plus présent et dynamique, notamment en matière de coopération entre les pays membres dans ce domaine ».

Le président iranien Ebrahim Raïssi et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune

Au moment de parler du premier sujet à l’ordre du jour, à savoir la flambée des prix du gaz naturel, qui est l’un des effets du conflit russo-ukrainien, le chef d’Etat algérien s’est dit « préoccupé » quant aux « restrictions unilatérales contre des pays membres (du GECF, donc la Russie, ndlr) qui affectent négativement le développement et le commerce du gaz naturel ». Un constat partagé par l’assemblée du GECF, malgré la présence des Egyptiens, des Norvégiens ou encore des Emiratis.

Lire : L’Algérie, juge de paix entre l’Europe et la Russie ?

En d’autres termes, le GECF ne compte pas faire baisser les tarifs du gaz. Et si l’UE se retrouve contrainte de briser ses accords gaziers avec la Russie, l’augmentation de la production des autres pays gaziers ne s’accompagnera pas d’une baisse des prix. Au contraire, une hausse des tarifs est même attendue.

Lever l’embargo sur l’Iran, la solution ?

Si l’assemblée du GECF a été marquée par un soutien à la Russie par les pays membres, elle s’est aussi engagée à « respecter ses engagements gaziers vis-à-vis du marché mondial », selon les mots de Vladimir Poutine. Le Qatar, pour sa part, a tenu à dissocier la crise gazière du conflit ukrainien.

Mais c’est surtout le Nigéria qui a créé la surprise. « Il n’y a pas de raisons d’augmenter la production pétrolière au sein de l’OPEP (pour compenser le gap énergétique, ndlr). On s’attend à une hausse de production gazière de la part de l’Iran, surtout si l’accord nucléaire aboutit », a simplement déclaré le ministre nigérian du Pétrole Timipre Sylva.

Le ministre nigérian met en exergue la nécessité de lever l’embargo sur l’Iran pour équilibrer le marché énergétique. « Nous n’avons pas à augmenter la production, s’ils (les Iraniens) sont capables de produire ».

Cette position de soutien à la levée des sanctions imposées à l’Iran est également partagée par le Qatar. En effet, pour le président iranien Ebrahim Raïssi, le GECF a été l’occasion d’effectuer son premier voyage dans un pays arabe, et de faire sa première rencontre avec l’émir du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani.

A cet axe gazier qui se crée dans un contexte géopolitique tendu, la présence de trois autres leaders, africains cette fois, ne pouvait pas mieux tomber.

Mozambique, Guinée équatoriale, Libye… des agendas presque homogènes

En effet, le Mozambique et la Guinée équatoriale étaient représentés par leurs présidents respectifs, Filipe Nyusi et Teodoro Obiang. La Libye, elle, par le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah.

Selon des sources diplomatiques, Nyusi chercherait à « élargir sa liste de contacts, avant de relancer l’exploitation gazière dans le bassin de Rovuma ». En effet, les 16 blocs gaziers mozambicains abandonnés par Total font l’objet d’un appel d’offre qui devrait durer jusqu’en octobre 2022. A moins, évidemment, qu’un Etat expérimenté dans l’extraction gazière ne rafle les 92 000 kilomètres carrés disponibles.

Pour Obiang, qui compte consolider son alliance militaire avec la Russie et voit de plus en plus sa relation avec la France se dégrader, depuis la condamnation de son fils, et vice-président, par la justice française en juillet, le GECF 2022 tombait à pic.

« La défense des intérêts des Etats membres du GECF relève de la souveraineté de nos ressources. Elle exige une coopération et un dialogue continus, a affirmé Teodoro Obiang. La solidarité est le premier principe auquel il faut adhérer, car il conduira à l’égalité des chances et à la souveraineté économique.

Le Premier ministre Libyen Dbeibah a, pour sa part, annoncé le lancement de l’exploitation de nouveaux champs pétroliers. Mais c’est surtout son ministre du Pétrole qui l’accompagnait, Mohamed Aoun, qui a eu un rôle important en rencontrant, lundi, son homologue russe. Le communiqué de la rencontre parle de l’activation des accords gaziers passés avec la Russie le 17 novembre dernier.

Des accords qui pourraient prendre la forme d’une alliance tripartite, après la signature, le 10 février dernier, d’un protocole d’accord entre la Sonatrach algérienne et la National Oil Corporation libyenne.

Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah et le président algérien Abdelmadjid Tebboune
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