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Togo : comment lutter efficacement contre le fléau de la corruption ?

Le pouvoir togolais a-t-il vraiment intérêt à mettre en place des politiques efficaces de lutte contre la corruption ? C’est la question posée par Yawovi Agbonkou, doctorant en Philosophie politique et éthique à la Sorbonne.

« La corruption est un sport national au Togo ». Tel était le constat désabusé d’un des participants de la table ronde citoyenne du 3 décembre 2020 à Lomé. Organisée par des organisations de la société civile togolaise, elle rassemblait des journalistes, des hommes d’affaires, des juristes et une représentante de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA).

Tous avaient à cœur de répondre à une question, ou plutôt au défi de la « Lutte contre la corruption au Togo ». Original et divers, cet échange a permis à la fois d’établir un diagnostic et d’ouvrir des pistes d’action sans rien cacher des difficultés.

Ambiguïté politique

Juridiquement, l’État togolais s’est souvent doté de textes qui visent à endiguer le phénomène de la corruption. D’ailleurs, l’article 46 de la Constitution togolaise déclare :

« Les biens publics sont inviolables. Toute personne ou tout agent public doit les respecter et les protéger. Tout acte […] de détournement de biens publics, de corruption, de dilapidation est réprimé dans les conditions prévues par la loi. »

Les sanctions encourues, définies par le Code pénal art. 208, vont d’un à cinq ans d’emprisonnement, selon la gravité de l’acte.

L’État togolais excelle dans la production de textes, mais le vrai problème réside dans leur application. Car les garants de la loi incarnent, bien souvent, tout le contraire. Un récent rapport sur la corruption au Togo commandé par la HAPLUCIA, révèle que « la corruption fait intervenir d’un côté les initiateurs constitués de riches (77,2 %), d’hommes puissants de tous les secteurs (57,2 %) » et de l’autre « les composantes de la société qui cèdent le plus à la corruption sont les agents de la justice (70 %) et les financiers ou comptables (43,3 %) ». Parmi les grandes affaires de corruption auxquelles l’État togolais serait mêlé, citons la concession du Port autonome de Lomé, qui aurait été accordée au groupe Bolloré en contrepartie de conseils de la filiale Havas au président Faure Gnassingbé lors de sa campagne en vue de sa réélection pour un deuxième mandat en 2010, ainsi que l’affaire du petrolegate (des sommes importantes issues de la vente de produits pétroliers auraient été détournées par des responsables politiques de premier plan).

En clair, le pouvoir politique en place apparaît lui-même touché par des faits de corruption. Dès lors, a-t-il réellement intérêt à mettre en place des politiques efficaces de lutte contre ce phénomène ?

Du fait de cette interrogation, la création de la HAPLUCIA, énième organisme public destiné à traiter de ces affaires, semble être au mieux un trompe-l’œil en réponse aux demandes des acteurs internationaux, visant à collecter des subventions qui seront ensuite redistribuées entre amis ; au pire un moyen de surveiller un peu plus les acteurs sociaux qui voudraient changer les choses. De plus, l’exemple de deux anciennes affaires de corruption remises au Procureur général par la HAPLUCIA depuis novembre 2019, sans suite, et l’absence de toute capacité coercitive déléguée à cet organisme, posent la question de son efficacité réelle et de la volonté politique sous-jacente à son édification.

Qu’en est-il de la société civile ?

L’idée selon laquelle la corruption serait un « sport national » au Togo évoque deux dimensions de la corruption : une dimension interindividuelle et une institutionnelle.

La corruption institutionnelle se manifeste par des abus de pouvoir, des détournements de fonds, la corruption des élites, des fonctionnaires publics, des agents de la justice…

La corruption interindividuelle, quant à elle, se manifeste dans différents secteurs de la vie sociale : un agent qui vous permet d’éviter l’attente dans un service public moyennant un bakchich ou qui en encaisse auprès des usagers de la route au lieu de leur infliger une amende pour infraction (corruption active). Mais elle est aussi à l’œuvre quand l’usager remet systématiquement de l’argent à l’agent pour éviter des réprimandes ou une contravention (corruption passive).

Dans presque toutes les activités socioéconomiques, les relations sociales, familiales… la corruption reste assez présente, même dans les cadres religieux où les valeurs morales sont censées primer.

Dans le secteur de la santé, les multiples exemples rapportés sur le CHU Sylvanus Olympio, considéré comme un « mouroir », sur d’autres centres hospitaliers du pays, et aussi dans le privé sont révélateurs. Le partenariat public-privé ou la délégation du rôle de l’État aux structures sanitaires privées qui augmentent les prix des prestations en commercialisant la santé et le bien-être social posent un sérieux problème.

Dans l’éducation, on peut citer l’absentéisme systémique des enseignants, et les cours de répétition payants organisés dans les établissements scolaires publics comme privés, du CP à la terminale, pour compléter les salaires insuffisants des enseignants et aussi pour relever le niveau des élèves. Il arrive même que de bonnes notes soient données à des élèves contre des faveurs sexuelles, des faveurs financières ou d’autres formes de reconnaissance de la part des parents.

Dans le sport togolais, le dossier des détournements de fonds des Coupes d’Afrique des Nations de football 2013 et 2017 est un exemple parmi d’autres de gestion confiée à des acteurs souvent inadaptés.

Il est indéniable que la corruption est un fléau qui endommage les structures socioéconomiques de la société togolaise et trouble sa cohésion sociale. Son rapport avec la question des inégalités est très clair. Sans même parler des élections, qui constituent un vaste réseau de corruption. Car, pour reprendre les mots d’un entrepreneur togolais : « Comment voulez-vous que des gens qui volent tous les jours n’aillent pas voler le jour le plus important de leur vie, le jour des élections ? »

Corruption et inégalités au Togo

Le lien entre la corruption et les inégalités se vérifie clairement au Togo. Selon le rapport précité (et controversé), les citoyens togolais pensent que les principales causes de la corruption au Togo sont la pauvreté (77 %) suivie de la faiblesse des salaires ou des revenus (56,1 %). Le salaire minimum garanti (SMIG) est de 35 000 francs CFA (environ 53 euros), depuis janvier 2012, et la majorité des Togolais vivent au jour le jour. De même, les écarts de revenus entre les plus riches et la majorité de la population sont criants, ce qui pousse certains habitants à se trouver d’autres sources de revenus à travers la corruption. Or, l’accumulation de ces cas entraîne plus d’inégalités. Au Togo, le népotisme, les trafics d’influence, les pots-de-vin… relèvent de l’ordinaire. La plupart des citoyens se trouvent appauvris par ces dépenses supplémentaires, tandis que les prestataires s’enrichissent.

Les conséquences sont nombreuses : la destruction des services publics, la dégradation des structures socioéducatives et sanitaires, la vétusté des infrastructures… Même les relations sociales en pâtissent, surtout en termes d’accueil et de prise en charge. Avec la centralité des reconnaissances pécuniaires qui rend certains dépendants, et la vétusté des infrastructures, les personnels sont désengagés et oublient des valeurs essentielles de dignité humaine. Les administrations publiques sont surchargées à cause de la concentration des activités en des lieux où, pour être servi, il faut soit employer la méthode la plus simple qu’est la corruption, soit y passer des heures, voire des jours.

Quelles perspectives ?

Le Togo est gangrené par la corruption. Au classement mondial établi par Transparency International, le pays se positionne à la 134e position sur 180, avec un score de 29 points. Le score moyen est de 43/100 dans le monde et de 32/100 en Afrique subsaharienne. Pour s’améliorer, la population et le gouvernement doivent mener des actions concrètes.

Au niveau de la population, il faut une prise de conscience de l’impact de la corruption sur la qualité des services publics par une éducation citoyenne, et des actions exemplaires, à savoir des sensibilisations adaptées et des formations au contrôle citoyen conduites par les organisations de la société civile, qui doivent notamment s’effectuer à travers des visites surprises dans les services publics. Celles-ci doivent être le fait des populations locales, car elles seraient les plus aptes à les réaliser : c’est le contrôle local. De telles actions doivent être appuyées par des audits externes dont les résultats doivent être communiqués aux populations (cf. Esther Duflo, La politique de l’autonomie). Le contrôle citoyen ne doit pas se limiter à la critique et à la dénonciation. Il doit aussi servir à soutenir et à promouvoir les bonnes actions et pratiques, pour encourager et servir d’exemple.

Quant au gouvernement, il doit :

La lutte anticorruption effective est un élément essentiel pour le développement. Cet effort a été la clé de la politique de développement du Singapour installée par Lee Kuan Yew, une référence mondiale. Mais tout cela n’est possible qu’avec une réelle vo-lonté politique.


Yawovi Agbonkou, Doctorant en Philosophie politique et éthique, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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