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Terrorisme en Afrique : l’ONU a-t-elle menti ?

Terrorisme Afrique

Les Nations unies publient un rapport très attendu sur le terrorisme en Afrique. L’ONU se félicite de l’« affaiblissement » de l’Etat islamique. Mais la réalité est plus complexe.

La mort de plusieurs commandants principaux de groupes terroristes en Afrique pendant les derniers mois a « provoqué la désertion de milliers de combattants », assure un rapport des Nations unies. Le document, intitulé « Etat islamique en Afrique, tendances et développements », étonne dès son introduction, l’ONU estimant que les crimes terroristes en Afrique sont le monopole d’un seul groupe.

Le rapport onusien a été établi par cinquante représentants d’organisations de la société civile africaine, issus de 15 Etats. Evidemment, ces Etats ne sont pas du tout les principaux concernés par la vague d’attentats terroristes qui secoue plusieurs régions africaines depuis plus d’une dizaine d’années. Et parmi ces 50 spécialistes, à peine sept sont Africains, dont trois Ivoiriens, un Djiboutien et deux Egyptiens, tous employés du Comité des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme (CTED).

Une représentativité qui interroge, mais qui ne tranche pas avec les paradoxes entre le constat de l’ONU et une criminalité terroriste dont les dégâts ne font qu’augmenter au fil des années.

Pour les Nations unies, les morts successives d’Abubakar Shekau, Abou Mosab al-Barnaoui – les deux chefs de Boko Haram, tués lors d’un conflit interne – et le chef de l’EIGS Adnane Abou Walid al-Sahraoui, présumé mort après un bombardement français en août dernier, seraient les signes de la « fin inévitable de l’Etat islamique en Afrique ».

Or, au Nigéria comme dans la « zone des trois frontières » où les groupes de ces trois commandants de groupes terroristes opèrent, la violence ne fait qu’augmenter et s’étend au-delà de ses confins naturels.

Un rapport subjectif qui « manque cruellement de professionnalisme »

Une chose est sûre, cependant. Malgré une opposition passée des Nations unies à la classification arbitraire des groupes terroristes africains comme « affiliés à l’Etat islamique » par les Etats-Unis, la tendance change rapidement.

« Ces développements (la mort de leaders terroristes, ndlr) ont représenté une opportunité pour une approche renouvelée et holistique qui a pris en compte les aspects locaux du phénomène, a employé des approches de justice transitionnelle et des mécanismes de prévention pour renforcer la résilience des États, renforcé les voies de sortie des conflits et inclus des mesures visant à prévenir l’extrémisme violent propice au terrorisme », assure le rapport de l’ONU.

Pour le CTED, les autorités « n’ont pas tiré parti du rôle positif que la société civile et les femmes peuvent jouer dans la prévention du terrorisme, le renforcement de la résilience et la réintégration des anciens combattants ». Mais, dans le même temps, « les avancées de certains pays comme le Cameroun sont encourageantes. Les pays africains devraient « engager un dialogue avec les combattants et les groupes terroristes, y compris par l’intermédiaire de la communauté locale et des chefs religieux, dans les zones où la confiance dans le gouvernement fait défaut », assure le CTED.

On peut lire de nombreuses expressions étonnantes, comme lorsque l’ONU parle du « rôle vital des Etats Unis dans la formation des armées des pays de la région », ou encore dans « la réhabilitation des personnes associées à Boko Haram ou l’EIGS ».

En contrepartie, le rapport ne manque pas de dénoncer « le manque d’une justice criminelle adéquate », « le manque de coordination des forces de sécurité », le « manque de transparence » ou encore « la corruption, le chômage, la mauvaise gouvernance » en Afrique.

Les terroristes ciblés par les Etats-Unis ne sont pas les seuls ennemis de l’Afrique

Concrètement, outre une supposée victoire américaine, et une fin imaginaire de la menace de l’Etat islamique en Afrique, le rapport onusien « manque cruellement de professionnalisme » et serait « contesté par les experts », selon la spécialiste britannique de sécurité et de terrorisme Nicky Harley.

Un constat qu’il serait difficile de contester. Le rapport de l’ONU a utilisé des chiffres datant de 2015 pour la plupart, et issus de parties non-gouvernementales, à l’exception du Service de recherche du Congrès (CRS) américain.

Pendant que les Nations unies, justement, félicitent les Américains pour leurs efforts dans la lutte antiterroriste en Afrique, l’ONG omet la totalité des attentats terroristes en Afrique en 2021. Un record en termes de nombre d’attaques et de victimes civiles, comportant également une extension de la menace terroriste en Afrique. Le Bénin, la Côte d’ivoire, le Togo, la Tanzanie et le Malawi ont connu leurs premiers attentats depuis des années, revendiqués par des groupes terroristes affiliés à l’Etat islamique, l’année dernière. Au Nigéria, au Cameroun, en RDC et en Somalie, la violence des groupes terroristes n’a jamais provoqué autant de victimes depuis 2016 pour le record le plus récent dans ces pays.

S’il est donc vrai que l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et Boko Haram sont tous les deux aux abois grâce à de nombreux facteurs, la violence n’a jamais arrêté dans les pays les plus concernés par les attaques de ces groupes. Et dans ces pays, à savoir le Nigéria, le Mali et le Burkina Faso, les autorités et la presse locale parlent de plus en plus de « bandits » ou encore de « groupes armés » sans distinction. Car, malgré ce que semble penser l’ONU, les terroristes ciblés par les Etats-Unis ne sont pas les seuls ennemis des pays africains.

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