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Taxer les transferts financiers électroniques, la mauvaise idée des pays africains ?

Nana Akufo-Addo

Après le Cameroun, c’est au tour du Ghana d’imposer les transferts électroniques d’argent. La loi E-levy, tout juste adoptée, prévoit une taxe de 1,5 %. Le mouvement de contestation #FixTheCountry proteste bruyamment.

Pour l’illustre professeur ghanéen de médias numériques, Nii Kotei Nikoi, « l’avocatisation des débats au Ghana ignore le fonctionnement du pouvoir sur le terrain et confond légalité et justice ». Un constat parmi tant d’autres. Car au Ghana, le gouvernement avait déjà préparé ses arguments avant d’imposer une taxe très impopulaire, celle prévue par la loi E-levy, qui impose une redevance de 1,5 % sur tous les transferts de monnaie électronique dans le pays et vers l’international.

Ce mardi 29 mars, le parlement ghanéen a adopté E-levy après que l’opposition s’est retirée du débat. Le gouvernement de Nana Akufo-Addo a déclaré que « cette décision contribuerait à résoudre les problèmes, du chômage à la dette publique élevée du Ghana ».

Le ministre ghanéen des Finances — par ailleurs cousin du président —, Ken Ofori-Atta, a déclaré que la nouvelle taxe génèrerait des revenus pouvant atteindre 927 millions de dollars. Le pays a du mal à relancer son économie, officiellement à cause de la pandémie de coronavirus, qui avait provoqué une fermeture des frontières de deux ans, entre autres.

Et afin de préparer l’opposition, et la grogne populaire grandissante, à accepter la nouvelle taxe, Nana Akufo-Addo et ses ministres ont récemment réduit leurs salaires et privilèges de 30 %. De quoi générer 400 millions de dollars d’économies pour les caisses de l’Etat.

La loi E-levy a toutefois du mal à passer. Comme il y a plusieurs mois au Cameroun, le Ghana doit désormais faire face à un mouvement de protestation, #FixTheCountrry — comprendre « réparez le pays » — qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Tant et si bien que Nana Akufo-Addo est de plus en plus sur la sellette.

Constitutionnalisme autoritaire

L’abolitionniste afro-américain Frederick Douglass disait : « Découvrez ce à quoi les gens se soumettront et vous saurez la mesure exacte de l’injustice qui leur sera imposée, et celle-ci continuera jusqu’à ce qu’elle soit confrontée aux mots ou aux coups, ou aux deux. Car les limites des tyrans sont prescrites par l’endurance de ceux qu’ils oppriment ».

Dans son article, Nii Kotei Nikoi fait le rapprochement entre les raisons avancées par le gouvernement ghanéen pour régler les problèmes du pays et une intellectualisation de la mauvaise gouvernance. Pour le professeur de théorie constitutionnelle de Harvard, Mark Tushnet, « le constitutionnalisme autoritaire désigne un régime où (…) le pouvoir n’est pas légalement ou de facto responsable devant les citoyens, même s’il peut être tout à fait sensible à leur égard ».

Un système dans lequel le Ghana de Nana Akufo-Addo ne cesse de s’enfoncer, et sa jeunesse avec, tout en contrôlant la narrative au niveau international. Si le président ghanéen, qui en est à son second mandat, peut se targuer d’avoir été élu démocratiquement et de n’avoir aucun soupçon de corruption qui plane sur lui, il s’appuie également sur ces facteurs pour couvrir une gestion calamiteuse des fonds de l’Etat.

Et ce n’est pas tout, car Nana Akufo-Addo se présente également comme panafricain de conviction. Pourtant, c’est lors de son mandat à la tête de la Cedeao que l’instance sous-régionale a été amputée du cinquième de ses pays membres, et qu’elle a perdu toute crédibilité aux yeux des populations.

Se « servir dans les poches » des Ghanéens ?

Là où le chef d’Etat ghanéen excelle, en revanche, c’est dans la couverture médiatique du musellement de l’opposition. La réduction symbolique des salaires présidentiel et gouvernementaux visait justement à imposer la nouvelle taxe.

Le parlementaire du parti d’opposition, le Congrès démocratique national (NDC), Isaac Adongo, déplore le « rejet catégorique des populations pour toutes nouvelles taxes ». « Quel est le crime des Ghanéens pour que le gouvernement veuille maintenant se servir dans leurs poches ? » interroge l’élu.

Si le Ghana en est aujourd’hui arrivé à imposer une taxe citoyenne si visible au quotidien, c’est justement à cause des nombreux rééchelonnements de la dette publique. En mars 2021, voulant temporiser pour la sixième fois sa dette européenne, et en quelque sorte s’émanciper de l’influence européenne, les 3 milliards de dollars de dus européens ont aujourd’hui atteint 14 milliards. Et le Ghana les doit à de nouveaux bailleurs, américains cette fois.

Lire : Pour éponger sa dette, le Ghana veut lever des fonds

Pendant ce temps, le mouvement #FixTheCountry ne cesse de dénoncer l’injustice de la stratégie financière du gouvernement. Pour le mouvement d’opposition, regroupant une grande partie de la jeunesse du Ghana, les conditions socio-économiques des Ghanéens contrastent avec l’image présentée à l’international.

En réponse, le gouvernement ghanéen a tout fait pour réprimer le mouvement. Des médias de l’Etat qui glorifient l’interdiction des manifestations, en passant par les procès politiques contre ses dirigeants, jusqu’aux arrestations arbitraires des étudiants à Accra. L’opposition contre Nana Akufo-Addo ne cesse de croître. Le quatrième chef d’Etat africain le plus âgé s’inscrira-t-il dans l’Histoire comme un président trop autoritaire ? De quoi dilapider, sans doute, l’héritage de Kwame Nkrumah, et même de Jerry Rawlings.

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