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Sur les réseaux sociaux, l’Ouganda est-il le royaume de l’humour ?

Ces dernières années, l’humour africain qui a connu le plus grand succès dans le monde est presque exclusivement ougandais. Les « mèmes » sur les réseaux sociaux viennent d’ailleurs principalement de ce pays.

En 2010, un film d’action indépendant originaire d’Ouganda, « Qui a tué le capitaine Alex ? », a été le point de départ de l’un des « mèmes » — un élément repris et décliné en masse sur les réseaux sociaux — les plus connus de l’Histoire.

Le fameux « Do you know the way » — « Connaissez-vous le chemin » — prononcé par le personnage du dessin animé « Sonic », Knuckles, avec un accent ougandais, a secoué les réseaux sociaux.

Un vrai phénomène de communication, qui a placé définitivement l’Ouganda sur la carte de l’humour. Surtout lorsqu’il s’agit de rire, tous les internautes sont d’accord : l’Ouganda est le pays où les internautes ont le plus grand sens de l’humour en Afrique.

Certains libéraux occidentaux ont toutefois critiqué le phénomène « Ugandan Knuckles », l’estimant raciste. En effet, avec la sortie du jeu vidéo en ligne VRChat en 2017, les « Ugandan Knuckles » — joués par des trolls en ligne — ont proliféré, et avec eux les vidéos, les « mèmes »… mais également, le tourisme en Ouganda et les levées de fonds pour les organisations humanitaires dans le pays.

Depuis ce mème, l’actualité ougandaise a été scrutée par les internautes. Puis, l’élite politique en Ouganda, sans exception, a rebondi sur le succès de ce type d’humour, créant parfois ses propres mèmes. Pour les internautes, il s’agit surtout de prendre du bon temps. Quels sont donc les mèmes ougandais les plus connus ?

Du catch au Parlement ougandais

En septembre 2017, alors qu’était discuté au parlement ougandais la révision constitutionnelle, une vingtaine de députés de l’opposition ont attaqué leurs collègues du Mouvement de résistance nationale (NRM), le parti présidentiel. La violence s’est poursuivie le jour suivant, sans qu’aucune blessure ne soit à déplorer. Les réseaux sociaux se sont saisis de l’évènement avec humour.

De nombreux influenceurs ont publié des vidéos des altercations, avec un son de fond de parties de catch de la World Wrestling Entertainment (WWE). L’objectif était clairement de moquer l’inaptitude des élus à se battre, en zoomant sur ceux qui trébuchent ou qui lancent des projectiles sans toucher personne.

Le débat sur l’homosexualité en Ouganda, du tabou à l’humour

En 2013, le député ougandais David Bahati avait proposé la loi anti-homosexualité. Une loi qui a été votée favorablement par le parlement, puis ratifiée par le président, avant d’être invalidée par la Cour constitutionnelle.

Le sujet est resté au centre du débat public en Ouganda, mais rarement discuté par les médias, encore moins avec humour. En 2019, le média NBS Television a accueilli le premier débat télévisé sur l’homosexualité. Une rencontre qui a opposé un militant LGBTQ, Pepe Julian Onziema, au pasteur Martin Sempa, devenu lui-même célèbre depuis.

Puis, l’émission a été reprise des millions de fois par les internautes. Si ces derniers n’ont étrangement pas abordé la question de fond — trop sérieuse —, ils ont surtout salué l’humour du présentateur Simon Kaggwa Njala. Ce dernier, pour lequel le concept même de l’homosexualité était plus curieux qu’autre chose, posait des questions étranges comme « Pourquoi êtes-vous gay alors ? ». Ou encore  : « Si vous ne vous identifiez pas en tant que gay, qui est gay ? ».

Un mème qui fait toujours fureur sur les réseaux sociaux, et impose même une certaine légèreté au débat, même au sein de la communauté LGBTQ.

Mzee Jemba, le jet-setter de 68 ans

Mzee Jemba est un « annonceur de funérailles » ougandais, connu sous son pseudonyme du « maître ». Son travail consiste à se rendre à des obsèques et rédiger des poésies ou des textes d’enterrement pour les familles des défunts.

Or, début 2021, lors d’un de ses « discours », filmé, Jemba a raconté quelques indiscrétions sur le défunt. Après que cette vidéo est devenue virale, les internautes ougandais et swahiliphones en général ont examiné les comptes de Mzee Jemba sur les réseaux sociaux. Ils y ont trouvé un homme de 68 ans — il parait beaucoup plus vieux — qui vit une vie de jet-setter. Fêtes, hôtels de luxe, belles femmes… Mzee Jemba est immédiatement devenu lui-même un mème, plus connu comme « le prêtre africain charmeur » pour les internautes. Depuis, Il a même dû quitter Kampala pour aller dans son village, où les paparazzi le dérangeaient moins.

Le mème de « l’enfant africain sceptique »

Une photo d’un enfant avec un air méfiant a dominé les templates des mèmes entre 2015 et 2016. Baptisée « l’enfant africain sceptique », cette photo a été prise par la délégation d’une médecin indo-américaine, Heena Pranav, à Gulu dans le nord ougandais.

Pranav était en Ouganda dans le cadre de son activité pour l’ONG Pros for Africa. Elle discutait avec l’« enfant sceptique » en question, avant qu’un de ses stagiaires ne prenne la photo et ne la publie sur Reddit. Depuis, la photo a fait le tour du monde, mais aussi créé une polémique sur le respect de la vie privée.

Ainsi donc, Heena Pranav, qui assurait à la BBC souhaiter « que cet enfant ou sa famille soient au moins au courant et profitent d’une quelconque manière du succès de la photo », aurait organisé une levée de fonds pour le village de cet enfant toujours anonyme.

Si on ne sait pas vraiment ce que sont devenus ces fonds, le mème de « l’enfant africain sceptique » est, lui, toujours présent sur Internet.

Les hommes d’Etat ougandais et l’humour politique

Là où les « mèmes ougandais » sont un phénomène à part, c’est qu’ils suscitent surtout le respect des internautes, qui ne sont pas connus pour être particulièrement respectueux. Beaucoup d’utilisateurs de Facebook, Twitter, YouTube, TikTok ou Reddit mettent en exergue le sens d’humour légendaire des Ougandais, plus que les circonstances des mèmes en question.

D’ailleurs, on l’a vu durant les élections générales d’Ouganda en 2016 et 2021. Les candidats principaux à la présidentielle, le président Yoweri Museveni et le chanteur/opposant Bobi Wine ont eux-mêmes adopté cet humour pour promouvoir leur image sur le plan national et international.

Notamment, Museveni, connu pour son approche directe et son franc-parler, a organisé une campagne sur les dangers des accidents routiers, se faisant prendre une photo sur une chaise sur le bord de la route. D’abord, l’objectif était d’encourager les conducteurs à s’arrêter avant de téléphoner. Ensuite, la photo a lancé le « M7 challenge » : des milliers de personnes ont pris leurs propres photos sur des chaises sur le bord de la route. D’autres ont modifié celle de Museveni afin qu’il se retrouve dans des endroits improbables.

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