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Sanctions contre la Russie : quel impact pour l’Afrique ?

Russie

Etats-Unis, Union européenne et bientôt G7… Les sanctions économiques contre la Russie se multiplient. Une majorité des pays africains qui entretiennent des relations de coopération énergétique, agricole ou militaire avec Moscou s’inquiètent. A tort ou à raison ?

Confiscation des réserves financières russes à l’étranger, coupure du circuit financier international SWIFT pour sept banques russes, censure des médias Sputnik et Russia Today (RT)… Les pays européens ont rétorqué à l’opération militaire de la Russie en Ukraine en dégainant une série de sanctions.

De leur côté, les Etats-Unis, qui ont déjà interdit leur espace aérien aux avions russes, indiquent que des sanctions visant les hydrocarbures russes « ne sont pas écartées ». Et ce, malgré l’explosion des prix du gaz, du pétrole, des céréales et d’autres produits à cause des sanctions déjà mises en place.

Côté Afrique, les différents pays regardent de loin la Russie, dont la devise — le rouble — a chuté. Mais c’est en réalité surtout la « dédollarisation » provoquée — par les Etats-Unis — du commerce russe qui risque d’avoir des conséquences néfastes pour tous les partenaires de Moscou.

Vingt-deux pays africains ont des accords de coopération militaire avec la Russie, qui varient de l’armement à l’assistance militaire. Douze pays du continent ont, quant à eux, des accords de coopération nucléaire et sept Etats ont des accords agricoles avec Moscou. Enfin, la Russie a investi dans l’électrification de onze pays en Afrique.

Les transactions commerciales entre Russie et pays africains sont la plupart du temps effectuées en devises occidentales. Mais si la Russie venait à tenter de contourner les sanctions économiques pour poursuivre ses échanges commerciaux avec l’Afrique, quelles méthodes pourrait utiliser Moscou ? Surtout, qu’est-ce que les pays africains auraient à y gagner ?

Comment contourner les sanctions économiques ?

Les embargos sont une réalité que plusieurs pays africains connaissent bien, surtout depuis la Guerre froide et les premières alliances entre certains Etats du continent et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Et même si le bloc de l’Est s’est, depuis, effrité, une majorité des relations économiques que la Russie entretient en Afrique se font dans la continuité des accords conclus dans les années 1960.

La Russie moderne a toutefois démontré,  notamment en 2014, que les embargos ne sont pas un frein à sa diplomatie internationale. Après les sanctions imposées après l’annexion de la Crimée, Moscou a massivement investi dans l’agriculture, s’approchant rapidement de l’autosuffisance alimentaire. Et devenant, ainsi, l’un des premiers exportateurs de céréales du monde.

Aujourd’hui, alors que les sanctions contre la Russie sont encore plus sévères qu’en 2014, les analystes réfléchissent à l’avenir des échanges économiques russes.

Parmi les solutions envisagées : le troc, qui a montré, par le passé, son efficacité. Depuis près de trois décennies, l’Iran le pratique. Mais les échanges peuvent également s’appuyer sur des circuits financiers différents. Selon le journaliste brésilien Pepe Escobar, « la Russie pourrait compenser au moins 50 % des pertes commerciales » en s’appuyant sur le troc et en empruntant les circuits financiers alternatifs à SWIFT.

En effet, plusieurs entreprises utilisent déjà le SPFS russe ou encore le CIPS chinois. Si bien que, « si quelqu’un veut acheter du pétrole et du gaz russes avec le CIPS, le paiement doit être effectué dans la monnaie chinoise, le yuan. Le CIPS est indépendant de SWIFT », assure le journaliste.

Une alliance Russie-Chine en Afrique ?

C’est surtout un potentiel tandem Russie-Chine qui pourrait rassurer les Etats africains, mais aussi menacer la toute-puissance du dollar. Le premier créancier de l’Afrique, de l’Europe et des Etats-Unis peut se targuer d’une résilience économique à toute épreuve.

La réaction de Wall Street en dit long. Au moment de la suspension des banques russes du circuit SWIFT, les empires financiers américains Citigroup et JPMorgan Chase ont prévenu que les sanctions contre la Russie pourraient se retourner contre le système bancaire mondial.

« L’éviction de la Russie pourrait se retourner contre nous, en faisant grimper l’inflation, en rapprochant la Russie de la Chine et en soustrayant des transactions financières aux regards de l’Occident. Cela pourrait également encourager le développement d’une alternative à SWIFT qui pourrait à terme porter atteinte à la suprématie du dollar américain », lit-on dans un article de Bloomberg.

Outre une montée du yuan, désormais irréversible depuis la mise en place de sanctions contre la Russie, d’autres intérêts européens se trouvent également menacés en Afrique.

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Le modèle chinois d’investissement en Afrique est assez simple : la Chine encourage ses entreprises à bâtir sur le continent et à y acheter ses produits, en finançant les opérations à coup de dédouanement des marchandises ou de détaxation.

La Russie, elle, finance en grande partie les projets d’investissement, surtout dans le secteur énergétique, par des prêts à conditions préférentielles. Mais contrairement à Pékin, Moscou propose des conditions plus souples, en raison de contrats d’armement massifs, exclusifs et durables signés avec les pays africains.

Et si la Chine et la Russie s’alliaient en Afrique, pour y déloger les puissances occidentales ? Il faut rappeler que les deux pays évitent habilement de se croiser sur les mêmes marchés africains. Des concessions mutuelles qui ne disent pas leur nom ont lieu, par exemple, lorsque la Chine investit dans l’infrastructure et les nouvelles technologies. La Russie, elle, monopolise les secteurs de l’énergie et de l’armement.

L’intimidation, une stratégie occidentale

S’il n’est pas sûr que la stratégie occidentale décomplexée de sanctionner financièrement la Russie aboutisse, il est une question qui demeure : le modèle occidental pour s’emparer de positions économiques en Afrique est-il encore réellement efficace ?

Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, le vote de condamnation de la Russie, après le début de la guerre en Ukraine, a prouvé deux choses : tout d’abord que les pays africains sont prudents et préfèrent, pour la plupart, s’abstenir de prendre position plutôt que de condamner l’intervention russe. Ensuite, l’Occident, en particulier l’Europe, réussit de moins en moins à avoir la mainmise sur les choix des pays africains.

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Avant que la crise ukrainienne ne se transforme en guerre, déjà, le pouvoir militaire au Mali, visé par une panoplie de sanctions et par un embargo décidé par la Cedeao, probablement sous l’influence de la France, a tenu bon et s’est tourné vers la Russie. Si l’ancienne puissance coloniale française a réussi à prouver quelque chose aux Africains, c’est que son intervention militaire au Mali a été ratée et que son hégémonie africaine est de plus en plus fragile.

Goethe disait : « L’homme qui n’a rien à perdre est redoutable ». Et, de ce point de vue, les sanctions occidentales ne sont plus l’arme redoutable qu’elle furent autrefois. D’un autre point de vue, si l’Union européenne et les Etats-Unis risquent, en sanctionnant la Russie, de s’infliger un hara-kiri financier inédit, jusqu’où ira l’Occident pour éviter de perdre ses derniers prés-carrés africains ?

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Pour le moment, l’Afrique observe la situation sans réellement intervenir. Mais l’occasion se présente aussi pour certains Etats africains de capitaliser sur le conflit économique et diplomatique généralisé. La crise du gaz, par exemple, a permis de créer des alliances africaines improbables, avec par exemple la création du G4. Mais ce dernier, qui regroupe l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et le Nigéria, n’a pas encore décidé de ses objectifs majeurs, alors que plusieurs pays exportateurs de gaz et de pétrole ont su se rendre indispensables aux yeux de l’Occident. Un premier pas pour l’Afrique, qui se place en position de pouvoir négocier avec l’Europe notamment.

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