Site icon Le Journal de l'Afrique

L’Europe prépare sa guerre au Mozambique… mais contre qui ?

Le Sommet des ministres de la Défense de l’Union européenne (UE) s’est tenu le 6 mai à Bruxelles. Le commissaire Josep Borell a déclaré que l’UE enverrait des soldats au Mozambique.

Le vice-président de la Commission européenne Josep Borrell a créé la surprise, jeudi dernier. En marge du Sommet des ministres de la Défense de l’UE, il a déclaré que l’Europe déploiera des troupes armées au Mozambique.

En septembre 2020, le gouvernement mozambicain avait envoyé une lettre à l’UE, demandant son aide contre l’insurrection. La dernière fois que l’Europe a envoyé des troupes en Afrique, c’était dans le cadre de l’opération française Barkhane, au Mali. Actuellement, 470 soldats, pour la plupart Estoniens et Britanniques, forment les troupes auxiliaires Barkhane au Sahel.

Josep Borrell n’a pas défini les modalités d’intervention militaire au Mozambique. Il s’est contenté de déclarer : « nous aiderons les forces armées mozambicaines contre les terroristes ». En effet, depuis le 11 mars dernier, le département d’Etat des Etats-Unis a qualifié les ADF comme organisation terroriste. Or, les Forces Démocratiques Alliées (ADF) sont un mouvement rebelle ougandais, actif en RDC et au Mozambique. En 2017, au début de l’insurrection à Cabo Delgado, des insurgés ADF avaient décapité des responsables locaux. La raison de l’attaque était une prétendue liaison entre ces responsables et le Front de libération du Mozambique (Frelimo), le parti du président Nyusi. Les ADF qualifiaient ces responsables de corrompus.

Filipe Nyusi a-t-il changé d’avis ?

Fin décembre 2020, le Portugal devait envoyer quelques dizaines d’experts militaires au Mozambique. Cependant, Josep Borrell avait alors déclaré : « nous avons des problèmes au Mozambique, nous attendons le feu vert du gouvernement pour envoyer des experts en sécurité », a-t-il dit.

Selon Africa ExPress, le président Filipe Nyusi aurait mal apprécié les remarques de l’UE concernant l’origine de la guerre à Cabo Delgado. La Commission de l’UE avait écrit sur son rapport d’avril 2020 : « la violence au Nord mozambicain a été déclenchée par la pauvreté et les inégalités ». Le spécialiste Sandro Pintus a écrit à ce sujet : « il est dans l’intérêt du Mozambique de faire passer la guerre de Cabo Delgado comme un conflit international, et non un problème local », explique l’analyste.

En ce qui concerne la future offensive européenne, elle est en préparation depuis plus d’un an. Le 22 avril 2020, le Conseil de l’UE a adopté une résolution de préparation des « mesures nécessaires » pour une offensive au Mozambique. Selon Reuters, l’UE disposerait de 1500 soldats prêts au déploiement. Selon le procès-verbal du Sommet du 6 mai 2021, cette armée sera élargie. A Bruxelles, les ministres de la Défense de l’UE ont décidé d’y rajouter plus de 3000 soldats. Selon The Defense Post, le déploiement de cette armée européenne prendrait 120 jours. Il faudrait cependant une résolution exécutive du Conseil de sécurité des Nations Unies, pour l’autoriser.

De surcroît, un mouvement inhabituel aurait été remarqué depuis deux mois dans des zones d’entrainement de l’EUBG. En l’occurrence, la brigade blindée « Ariete » a effectué une vingtaine d’exercices militaires à Cellina-Meduna, en Italie. Cette base en particulier contient le noyau du régiment d’infanterie du Groupement tactique de l’Union européenne (EUBG).

Entre l’ADF et Daech, une histoire de sémantique

Néanmoins, les ADF sont issus d’un autre mouvement insurrectionnel âgé de 40 ans, Renamo. L’ancienne milice Renamo, appartenant à l’église néerlandaise, a été formée par le régime sud-africain de l’apartheid. La plupart des chefs militaires du Renamo font maintenant partie du commandement des ADF. De plus, parmi les milices qui se font la guerre à Cabo Delgado, les ADF sont le groupe avec le plus de chrétiens et le moins de musulmans. C’est aussi la milice la plus meurtrière, aux côtés de l’armée mozambicaine et des paramilitaires sud-africains.

Si les médias occidentaux insistent sur les termes « jihadistes » et « terrorisme islamique » en parlant des ADF, c’est parce qu’un autre groupe terroriste est présent dans une région voisine. Le groupe Ansar al-Sunna, représentant al-Shabaab, affilié à Daech, est présent à Niassa et à la baie de Palma. Toutefois, les attentats d’Ansar al-Sunna ont été jusque-là toujours revendiqués. Le paradoxe, c’est que justement, ce sont les attentats des ADF que l’on qualifie de terrorisme islamique. Ce qui crée une grande confusion dans la presse occidentale. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir le même attentat attribué à quatre milices différentes dans la presse occidentale. C’est là une manœuvre de Filipe Nyusi de susciter le support international dans une guerre civile qui l’oppose à un groupe rebelle.

Les commandants des ADF sont aussi des extrémistes chrétiens assumés. Musa Baluku, le commandant des ADF, originaire de la RDC, fait partie des Konzos, un groupe ethnique congolais protestant. Il a aussi l’habitude de crucifier ses victimes, dont beaucoup sont musulmanes. Pourtant, les médias n’hésitent pas à qualifier Baluku de « jihadiste islamiste ». C’est à se demander contre qui exactement l’Europe compte-t-elle faire la guerre au Mozambique ? Ou, plus précisément, pour le compte de qui ?

Quitter la version mobile