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Mali, Sénégal, Burkina Faso… Sentiment antifrançais ou désaveu de la politique française ?

Alors que les médias évoquent un sentiment antifrançais qui grandirait au Mali, il est important de se demander aujourd’hui si celui-ci n’est pas une simple contestation contre la politique française en Afrique.

« Au Mali, le sentiment antifrançais gagne du terrain », titrait Le Monde en janvier 2020. C’est un peu le marronnier des médias français depuis cette date : du Sénégal au Burkina Faso — où quatre soldats français ont été blessés —, en passant par le Mali et le Tchad, un « sentiment antifrançais » aurait gagné du terrain.

La preuve avec des mouvements de protestation lancés par des jeunes Africains s’en prenant aux symboles de la présence française sur le continent. Mais, comme le relatent de nombreux internautes après la publication de l’article du Journal de l’Afrique consacré au Premier ministre Choguel Maïga, ce « sentiment antifrançais » qu’ont décrit certains médias — dont le JDA — n’est en réalité qu’un sentiment de désaveu de la politique française.


Soixante ans après les indépendances, c’est un certain « néocolonialisme » français qui exaspère les Africains. L’homme politique sénégalais Dialo Diop rappelle à BBC la « relation malsaine et incestueuse qui lie l’Etat français aux Etats issus de ses anciennes colonies ».

La jeunesse aspire à d’autres horizons

Pour le philosophe malien Issa N’Diaye, également cité par le média britannique, c’est la Françafrique qui pose souci. Il voit cette politique « comme une sorte de tutelle qui ne dit pas son nom et qui consiste à faire prévaloir les intérêts de la France, les intérêts des entreprises françaises, des multinationales françaises sur celui des populations africaines ». Or, poursuit l’ancien ministre, les dirigeants africains n’arrivent pas à se débarrasser de la Françafrique.

Ce sont, du coup, les jeunesses africaines qui s’y opposent. « La jeunesse actuelle qui est sur les réseaux sociaux, qui a une large ouverture sur le monde, qui voit ce qui se passe ailleurs, aspire à d’autres horizons que la Françafrique. C’est tout à fait normal que cette jeunesse-là veuille revisiter les relations entre la France et l’Afrique », résume Issa Ndiaye.

On l’a vu lors du Sommet Afrique-France, il existe un réel décalage entre les jeunes et les dirigeants, qu’ils soient africains ou français. Emmanuel Macron a eu beau faire un mea culpa lors de cet événement à Montpellier, en déclarant que la France n’avait « pas respecté la souveraineté de la Libye », il semble que le président français ait oublié cette erreur en continuant à faire pression sur un Mali qu’il pense définitivement être son pré-carré.

Les peuples réclament une rupture avec la France

Outre des déclarations politiques hostiles contre la junte malienne — il est surtout reproché à Bamako un rapprochement avec la Russie —, l’attitude générale de Paris sur le continent continue d’exaspérer : « Les symboles de la Françafrique, c’est surtout dans les rapports économiques, la place des entreprises françaises dans l’économie, la base militaire française présente dans le pays, la politique migratoire et la politique monétaire avec le CFA qui est toujours là », résume le Sénégalais Fatou Blondin Ndiaye Diop.

Amzat Boukari-Yabara, co-directeur d’ouvrage du livre « L’Empire qui ne veut pas mourir : une histoire de la Françafrique » (éditions du Seuil), confie au JDA que, au Mali, « comme ailleurs, ce sont les peuples qui réclament une rupture avec la France, plus que les dirigeants. Au Mali, les circonstances sont assez particulières depuis l’intervention militaire et la déclaration de François Hollande qui disait que ‘le terrorisme est installé au Mali’. De facto, l’armée française est devenue une armée d’occupation ».

Pour l’historien, c’est surtout en persistant dans ce bourbier qu’est le Mali que « la France devient de plus en plus impopulaire. Or, il y a un entêtement des responsables français, mais surtout une incapacité de leur part à comprendre que les rapports de force changent ».

Macron et son discours néo-colonialiste

C’est certainement là le problème : malgré ce sentiment à l’encontre de la politique française en Afrique, Paris s’entête. « De Mitterrand à Macron, la France a toujours eu, au fond, le même discours », résume l’auteur de l’ouvrage consacré à la Françafrique. Or, si Emmanuel Macron a longtemps évoqué sa volonté de « rupture » avec la Françafrique, dans les actes, c’est loin d’être le cas.

Emmanuel Macron peut d’ailleurs être considéré comme le président français qui a le discours le plus pro-colonialiste, loin devant Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Outre les vestiges de la Françafrique, Macron est dans une double stratégie qui consiste à tout faire pour conserver une certaine mainmise sur les anciennes colonies — Côte d’Ivoire ou Gabon, entre autres — mais également à conquérir de nouveaux pays.

Et plus qu’un sentiment antifrançais décrit par la presse, les pays africains, représentés par leurs jeunesses, sont aujourd’hui dans une prise de conscience : tant que la France sera militairement présente en Afrique, monopolisera des marchés, aujourd’hui détenus par Total ou Bolloré, tiendra des gouvernants par des aides au développement décriées et continuera d’imposer ses conditions notamment en termes de monnaie, ce fameux « sentiment » continuera d’être ancré.

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