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L’OTAN, un instrument pour déstabiliser l’Afrique ?

OTAN Afrique

Alors que se dessine, en marge du conflit ukraino-russe, une nouvelle carte géopolitique, l’Afrique se démarque par une tendance au non-alignement. L’OTAN, elle, tente de retrouver son influence… 

A la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 1949, les pays africains étaient encore sous le joug du colonialisme. La plupart des fondateurs de l’organisation politico-militaire étaient les principaux colonisateurs de l’Afrique – Royaume-Uni, Portugal, France, Belgique et Italie notamment. Il s’agissait alors pour les douze pays fondateurs d’« arrêter une éventuelle agression soviétique et la propagation du communisme ». Mais depuis l’effondrement de l’URSS, l’OTAN a étendu sa liste d’Etats membres de douze à trente.

Aujourd’hui, alors que l’Afrique est plus sceptique quant à la condamnation de la Russie pour le conflit en Ukraine, la presse occidentale fustige la « poutinophilie » africaine. Pour le chercheur Paul-Simon Handy, « la poutinophilie d’une partie des Africains relève d’abord d’un rejet de l’Occident ».

Depuis sa création, l’OTAN avait fait de l’Afrique sa sphère d’opérations militaires. Kwame Nkrumah avertissait déjà en 1967 qu’il y avait au moins 17 bases aériennes de l’OTAN, neuf bases navales, trois sites de lancement de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et un site de tests nucléaires en Afrique du nord.

Dans son livre Handbook of Revolutionnary Warfare, Nkrumah dénonçait également le pillage des mines du Congo, de l’Angola, du Zimbabwe (Rhodésie) et d’Afrique du Sud pour la construction des armes nucléaires occidentales.

L’Occident contre le panafricanisme

Pour le héros indépendantiste bissau-guinéen et capverdien Amílcar Cabral, le Portugal, « appendice pourri de l’impérialisme, le pays le plus sous-développé d’Europe occidentale, n’aurait jamais été capable de lancer trois guerres coloniales sans les aides de l’OTAN, les armes de l’OTAN et les bombes de l’OTAN ».

En 1960, en pleine guerre du Katanga entre les lumumbistes et les katangais, l’OTAN avait permis à la Belgique, contre la condamnation de l’ONU, de bombarder les positions des soldats congolais. Patrice Lumumba fustigeait alors cette ingérence directe de l’OTAN, et l’apathie de l’ONU. « Tous ont compris que si le Congo meurt, toute l’Afrique bascule dans la nuit de la défaite et de la servitude. Voilà encore une fois la preuve vivante de l’Unité africaine. Voilà la preuve concrète de cette unité sans laquelle nous ne pourrions vivre face aux appétits monstrueux de l’impérialisme. Mais entre l’esclavage et la liberté, il n’y a pas de compromis », avait alors déclaré Lumumba.

Trois exemples de figures de proue du panafricanisme, qui partagent un destin commun. Nkrumah a été destitué par un coup d’Etat enclenché par la CIA américaine, Cabral et Lumumba assassinés. Un thème récurrent dans l’Histoire moderne de l’Afrique, chaque fois qu’un dirigeant s’opposait à l’hégémonie occidentale, il était écarté de force. Ahmed Sékou Touré est mort sur la table d’un chirurgien américain, où il s’est retrouvé contre son gré. Thomas Sankara a été assassiné par un futur « président Françafrique », et sa présidence a été minée par les ingérences occidentales. La Libye de Mouammar Kadhafi a été bombardée par l’OTAN, et le leader lui-même assassiné et décrié par les médias occidentaux.

Quels intérêts pour une Afrique morcelée ?

Une valeur symbolique aux yeux des Africains aujourd’hui. Alors que l’Afrique est partagée entre soutien de l’OTAN et non-alignement, l’Occident fait pression sur l’Afrique pour une condamnation totale de la Russie pour le conflit ukrainien.

Force est de constater que la carte africaine qui se dessine, au lendemain du vote onusien sur l’Ukraine, ressemble à s’y méprendre à celle de la Guerre froide.

En 1963, déjà, Yacouba Zerbo affirmait : « Paradoxalement considéré comme un continent pauvre, l’Afrique a toujours été un enjeu capital pour les puissances étrangères ». Il explique : « C’est pourquoi, contrainte sous la pression des événements, la Belgique concéda l’indépendance au Congo. Mais elle s’ingénia à y semer les germes de la désunion afin de lui en détacher les plus riches régions que sont le Katanga et le Kasaï. Les Français, de leur côté, n’entendaient pas renoncer à leur influence dans les possessions d’Afrique que les gouvernements qui se sont succédé depuis 1945 soupçonnaient Américains et Soviétiques de vouloir détacher de la France. La Grande-Bretagne tenait tant à ses intérêts au Kenya qu’elle déclara une guerre atroce aux Mau-Mau afin d’y conserver ses intérêts ».

L’auteur faisait surtout état d’une intervention occidentale dont le premier objectif était d’empêcher l’union de l’Afrique. « La pléthore de leaders politiques africains issue de la colonisation du continent par des métropoles différentes et de son morcellement en de multiples entités politiques indépendantes constitue une sérieuse difficulté qui pèse et pèsera encore sur les tentatives de regroupement en Afrique », dénonçait-il en pleine Guerre froide.

L’OTAN, pourvoyeur de déstabilisations et de guerres en Afrique

Aujourd’hui, la situation est-elle bien différente ? « En Afrique, l’OTAN continue d’opérer sous couvert d’assistance humanitaire ou de formation militaire. Mais la violence sur le continent n’a jamais autant augmenté que depuis la saisine de la lutte antiterroriste par les pays de l’OTAN, à travers Africom notamment », estime le réseau panafricain Black Agenda Report.

Selon l’organisation The Black Alliance for Peace (BAP), en 13 ans d’existance, Africom a été derrière neuf coups d’Etat en Afrique. Une étude du journal académique Journal of Peace Research (JPR) en 2017, selon des données de 189 pays entre 1970 et 2009 affirmait que les formations militaires américaines augmentaient les risques de coups d’Etat militaires. La directrice de l’Institute for Policy Studies Netfa Freeman considérait d’ailleurs qu’Africom servait « d’incubateur de coups d’Etat ».

Le politologue Djibo Sobukwe rappelle que « le rôle des Etats-Unis et de l’OTAN dans la destruction de la Libye en 2011 est important à souligner. (…) Il a finalement abouti à la destruction du pays le plus prospère d’Afrique avec l’indice de développement humain le plus élevé ».

La femme d’Etat américaine Cynthia McKinney, dans son livre « The Illegal War on Libya », affirme que « la guerre de l’OTAN menée par les États-Unis contre la Libye restera dans les mémoires comme l’un des plus grands crimes de l’histoire ». Elle affirme que « la guerre de l’OTAN en Libye est un crime à la hauteur du procès de Nuremberg ».

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