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L’injustice vaccinale en Afrique mise en lumière par Omicron

L’émergence d’Omicron a mis en lumière les profondes inégalités vaccinales sur la planète. Mais aussi l’attitude indéfendable du Canada vis-à-vis l’Afrique.

La découverte du variant Omicron par des chercheurs sud-africains à la fin du mois de novembre a eu un effet immédiat sur ce pays et une douzaine d’autres du continent. Bon nombre de pays, dont le Canada, ont aussitôt imposé des restrictions pour les voyageurs afin de limiter la propagation du nouveau variant, que l’on dit plus contagieux, mais moins virulent.

Cela dit, l’émergence d’Omicron a aussi mis en lumière les profondes inégalités vaccinales sur la planète : en Afrique, par exemple, seulement 7 % de la population est pleinement vaccinée.

En novembre 2021, le patron de l’OMS, Ghebreyesus Tedros a déclaré :

Chaque jour, il y a six fois plus de rappels administrés dans le monde que de doses primaires dans les pays à faible revenu. C’est un scandale qui doit cesser.

Ce décalage est révélateur d’inégalités structurelles que la pandémie a mises en évidence et que la discrimination systémique à l’égard du continent africain sert à camoufler.

Professeure émérite en économie politique, je dirige en ce moment un projet de recherche financé par le CRSH du Canada, « Accès à la santé, ressources minières et le rôle des politiques publiques en Afrique ».

Une réaction rapide

Contrairement à ce que prévoyaient de nombreux observateurs « afro-sceptiques », lors des six premiers mois de pandémie, l’Afrique semblait relativement épargnée. Pour expliquer cette situation, certains n’ont pas hésité à invoquer la « particularité » du continent, dont des facteurs génétiques, ce qui va avec notre perception ethnocentriste de l’Afrique.

Les milieux scientifiques ont rapidement rétorqué que les raisons étaient infiniment plus complexes. Les préjugés qui motivaient ce réflexe initial sont importants pour comprendre la situation que nous connaissons maintenant.

Du fait de ces préjugés, beaucoup moins d’attention n’a été accordée à l’expertise cumulée du continent et notamment, aux mesures de riposte adoptées lors d’épidémies et les innovations qui ont suivi.

Dès l’irruption du virus au début de 2020, le Centre de prévention et de contrôle des maladies, Afrique, (CDC), basé en Éthiopie, a réagi avec une rapidité impressionnante. Ses directives : renforcer les systèmes de surveillance pour identifier les personnes infectées, les isoler et continuer à rechercher les contacts.

Sous son égide, les ministres de la Santé de tout le continent ont immédiatement été convoqués. Une riposte coordonnée a été mise en place. Les mesures introduites ont certes reflété les contextes sociaux, politiques et économiques fort différents des 54 pays. Mais rappelons que les pays africains avaient déjà une longue expérience de lutte contre la transmission de maladies, notamment en adoptant des approches régionales comme ce fut le cas par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lors de la crise de l’Ebola en 2014-2016.

Confinement et couvre-feu

Des mesures de confinement ont été introduites très rapidement, de même que des restrictions de voyage, des couvre-feux et des fermetures d’écoles. Il serait difficile, sans davantage de recherche, de dire si ces réponses précoces ont freiné la propagation de la maladie, notamment aux frontières, laissant suffisamment de temps pour préparer les stratégies de quarantaine, de recherche des contacts et de distanciation sociale. Mais le continent africain a déjà l’expérience de ces pratiques pour avoir contrôlé des épidémies telles que la fièvre de Lassa et l’Ebola.

Ces restrictions ont été très dures, elles ont exigé beaucoup de discipline et elles ont fait ressortir de fortes capacités de résilience et d’innovation en réponse à une pandémie mondiale face à laquelle le continent était laissé à lui-même « pour éteindre son propre feu », comme l’a dit l’anthropologue américaine Adia Benton, de la Northwestern University.

Les centres africains de recherche ont été mis à contribution, dont l’Institut Pasteur, à Dakar, en rendant disponible en novembre 2020 des tests de diagnostic rapide entièrement dédiés aux épidémies. Le modèle économique permet de les rendre accessibles à prix coûtant dans les pays africains.

Pas de vaccins pour l’Afrique

Durant ces mois, en Occident comme ailleurs, le monde avait les yeux braqués sur une chose : la production du vaccin.

Environ 2 % des près de six milliards de doses administrées dans le monde entier l’avaient été en Afrique en septembre 2021. L’Union européenne et le Royaume-Uni ont vacciné plus de 60 % de leurs populations et les pays à revenu élevé ont administré 48 fois plus de doses par personne que les pays à faible revenu. En Afrique, dans près de la moitié des pays, le pourcentage de personnes ayant reçu deux doses reste inférieur à 2 %.

plus d’un an après le début de la pandémie, en septembre 2021, le continent n’avait vacciné complètement qu’à peine 3 % de sa population de 1,2 milliard d’habitants.

L’Afrique produit moins de 1 % de tous les vaccins administrés sur le continent. De plus, le programme COVAX, destiné à approvisionner les pays dépendant de vaccins importés, a été contraint de réduire ses expéditions de vaccins destinés à l’Afrique d’environ 150 millions de doses. Certains pays riches, dont le Canada, ont contribué à « saper » ce dispositif de distribution de vaccins, en persistant à s’adresser directement aux fabricants pour avoir accès à davantage de doses. Il a depuis cessé cette pratique.

Les efforts pour produire des vaccins sur le continent se sont poursuivis. En septembre 2021, il y avait au moins douze installations de production établies ou en cours de construction dans six pays. Malgré cela, le continent se retrouve face à un déficit de presque 500 millions de doses par rapport à l’objectif mondial fixé pour la fin de l’année.

Accès aux brevets

Le maintien de restrictions par certains pays, dont le Canada, aux brevets qui faciliteraient cette production, n’est pas étranger à cette situation.

En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud avaient proposé conjointement que les obligations en matière de droits de propriété intellectuelle imposées par l’OMC concernant les brevets, les droits d’auteur, les dessins industriels et les données cliniques soient suspendues pendant toute la durée de la pandémie. Cette initiative temporaire, appelée proposition de dérogation aux ADPIC, contribuerait à assurer une réponse de santé publique rapide, équitable et véritablement mondiale à la Covid-19, que le régime actuel des droits de propriété intellectuelle de l’OMC entrave.

À ce jour, le Canada n’a toujours pas appuyé cette mesure de dérogation pourtant acceptée par plus de 100 gouvernements membres de l’OMC.

Des restrictions injustes

Avec l’introduction des restrictions de voyages annoncées par le Canada contre certains pays africains pour faire face au variant Omicron, le pays adopte une position non seulement d’une grande injustice, mais illogique.

Le variant est désormais présent dans plus de 63 pays, alors pourquoi cibler certains pays africains ? Clairement, ces restrictions ne sont pas décrétées sur une base scientifique, mais plutôt politique. Tout laisse à penser qu’elles visent à satisfaire et à rassurer les populations et les protéger « d’indésirables Africains ».

L’incongruité et le danger d’une telle prise de position qui stigmatise l’Afrique laissent tout simplement sans mots, comme le dénonce la Dr Ayoade Alakijaw, co-présidente de African Vaccine Delivery Alliance de l’Union africaine en soulignant la dimension discriminatoire de ces restrictions.

Tant que toute la population mondiale ne sera pas vaccinée, personne ne sera en sécurité. Il est donc difficile de comprendre les actions prises par des pays comme le Canada. Nous ne mesurons pas le tort que cela fait à la réputation du Canada de marginaliser ainsi le continent africain, tant sur le plan médical que politique, en imposant des restrictions de voyage.


Bonnie Campbell, Professeure émérite en économie politique. Département de science politique de l’ Université du Quéebc à Montréal., Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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