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Les services de renseignement français sont-ils vraiment efficaces ?

Mercredi, le directeur du renseignement militaire français a quitté son poste, après avoir été accusé de défaillances dans le dossier ukrainien. Les services de renseignement français sont-ils encore efficaces ?

Ce mercredi, l’annonce a surpris : à peine sept mois après avoir été nommé, le général Vidaud, directeur de la Direction du renseignement militaire (DRM), qui relève de l’état-major des armées, a quitté son poste alors qu’il avait été incité à partir l’été prochain. L’une des pierres angulaires des services de renseignement français est accusé, selon le journal L’Opinion, de « briefings insuffisants » et d’un « manque de maîtrise des sujets ». Le quotidien français estime que le général « paie les faiblesses du renseignement français dans la crise ukrainienne ». Autant vantés pour leur efficacité que critiqués, que valent vraiment les services de renseignement français ?

Tout d’abord, en France, il existe plusieurs services de renseignement : outre la Direction du renseignement militaire, qui est le service de renseignement des armées, on trouve également au sein du ministère de la Défense la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) — qui, à la différence de la DRM, a un accès direct au président de la République — et la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD). Le ministère de l’Intérieur, lui, contrôle la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), tandis que le ministère de l’Economie et des Finances dispose de deux services de renseignement : Tracfin et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

La DRM créée pour parer aux faiblesses de la DGSE

Pour jauger les dossiers internationaux, la DRM et la DGSE sont les organes régulièrement mis en avant. La première a, ces derniers temps, été pointée du doigt pour ses analyses erronées de la situation en Ukraine. C’est en tout cas ce qu’a affirmé, au Monde, le chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard. « Les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l’Ukraine aurait un coût monstrueux et que les Russes avaient d’autres options », expliquait le chef d’état-major.

Une aubaine pour la DGSE ? Car dans les couloirs du ministère de la Défense, entre la DGSE et la DRM, c’est loin d’être l’amour fou. Lors des interventions françaises au Sahel en 2015, la DGSE assurait jouer « un rôle tout à fait essentiel » en « fournissant l’essentiel du renseignement » pour traquer les chefs terroristes. Or, si la DRM était simplement chargée de capturer ou tuer ces derniers, la Direction du renseignement militaire assurait qu’elle avait ses propres moyens de détection. Minimisant ainsi le rôle de la DGSE. Dans les faits, la DRM mène bien les opérations sur les « théâtres ouverts », comme ce fut le cas au Mali ou au Niger, résumait L’Opinion il y a quelques années. Tandis que la DGSE est la seule habilitée à intervenir de façon clandestine, comme ce fut le cas au Sahel, en Centrafrique ou en Libye.

C’est en 1992 qu’est née la DRM. D’un simple constat : les forces françaises participant alors à la guerre du Golfe, en 1991, le ministère de la Défense avait commandé une étude qui avait permis de mettre en exergue les faiblesses du renseignement militaire.

La DRM, de moins en moins efficace ?

Reste désormais à savoir si la DRM et la DGSE sont véritablement efficaces. La Direction générale de la sécurité extérieure a, en Afrique notamment, parfois fait du bon travail, si l’on met de côté les opérations spéciales ayant permis à la France de conserver son héritage colonial. Comme en 1994 au Rwanda. A l’époque, des notes de la DGSE avaient été transmises à l’Etat français. Un rapport de l’association Survie, intitulé «les Mercenaires invisibles», montre que la DGSE a en effet alerté l’Etat de la présence de mercenaires français au Rwanda. Mais bien qu’alerté, l’Elysée n’avait pas bougé, accusé depuis d’avoir soutenu ces mercenaires.

Depuis, la DGSE a dû faire face à de nombreuses accusations de laxisme. Comme en 2017, lorsqu’un retraité de la direction générale du renseignement extérieur (DGSE), accusé de travailler pour le ministère de la sécurité d’Etat de la Chine, a été arrêté. Dans le livre « Trahisons à la DGSE », deux journalistes racontent que la Direction générale de la sécurité extérieure a mis dix-sept ans pour enfin prendre « la mesure de la trahison qui la rongeait ».

La DRM n’est pas mieux lotie. En 2014, le général Christophe Gomart, commandant de la DRM, déplorait « la faiblesse des moyens de recherche humaine (ROHUM) de la DRM en dehors du cadre des théâtres d’opérations extérieures où justement le ROHUM est très largement, pour ne pas dire intégralement, assuré par les éléments du COS (Commandement des opérations spéciales, ndlr) qui y sont déployés ». Le général affirmait d’ailleurs que la création d’entités « nouvelles, récentes et centrifuges » étaient « à l’opposé de l’esprit originel qui a présidé à la mise sur pied de la DRM » et que les moyens alloués à ces nouvelles entités rendait la DRM moins efficace.

Manque de compétitivité et nouveaux défis

Un manque de moyen qui concerne en réalité tous les services de renseignement français. Ceux-ci ont, forcément, mis un pied dans le cyberespace. Mais, comme l’indique un récent rapport de la commission parlementaire au renseignement, il est difficile de trouver des candidats à embaucher — en 2020, la DGSE affirmait que les candidats à son concours étaient incapables de répondre à des « questions pourtant simples et accessibles » — et, surtout, de concurrencer les sociétés privées. « On est compétitifs face au privé sur les salaires en sortie d’école, c’est beaucoup plus dur pour des profils à dix ou quinze ans d’expérience », admet Patrick Guyonneau, de la DGSI.

Si, aujourd’hui, environ 13 000 personnes travaillent au sein des entités constituant la communauté française du renseignement, selon le Premier ministère français, le manque de moyens est un véritable handicap. La DGSE a pu compter sur un budget en hausse en 2021, avec 880 millions d’euros, contre 816 en 2020. Le nerf de la guerre. Car, comme l’affirmait en 2018 Patrick Calvar, conseiller spécial sécurité et ancien directeur général de la Sécurité intérieure, « si, de fait, la communauté nationale du renseignement, au-delà d’ajustements toujours nécessaires, est aujourd’hui une réalité efficace, elle est désormais confrontée à des défis croissants et se diversifiant : terrorisme, espionnage, criminalité organisée, immigration massive, cyberattaques… ».

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