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Le Togo cherche sa place au Sahel

Le Togo veut s’imposer comme médiateur privilégié au Sahel et commence à installer un dynamisme diplomatique au Mali qui pourrait s’étendre au Tchad. Le pays de Gnassingbé poursuit-il de nouvelles ambitions dans la diplomatie africaine ?

Cela fait plus de six mois que le Togo a établi un contact officiel avec le chef de la junte malienne. En effet, beaucoup de rencontres ont eu lieu entre le président togolais Faure Gnassingbé et Assimi Goïta. Les discussions ont été précédées par une visite officieuse de Goïta au Togo, où il discuté avec le ministre des Affaires Etrangères Robert Dussey.

Depuis l’investiture de Mohamed Bazoum à la présidence du Niger, le président togolais est par ailleurs resté en bons termes avec Niamey. Les autorités nigériennes avaient aussi reçu le vice-président du Conseil malien de la Transition (CNT), Assarid Ag Imarcaouane. Préalablement, l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou avait insisté sur l’importance de la continuité des discussions entre le CNT, Niamey et Lomé.

Le 9 avril, à l’occasion de la visite du président togolais à Paris, Emmanuel Macron a abordé la question de la transition malienne avec Faure Gnassingbé. La menace terroriste au Mali a également été à l’ordre du jour. Le Togo avait dépêché 1 100 soldats togolais à la Mission des Nations Unies au Mali (Minusma). Corrélativement, la diplomatie togolaise a participé aux pourparlers entre les Etats sahéliens et la Katiba Macina. Et récemment, le Togo a « offert ses services » à Mahamat Déby, pour affronter la menace terroriste et fluidifier la transition politique tchadienne.

La Katiba Macina, Goïta et AQMI

Lorsqu’il s’agit de la transition malienne, les avis sont très divergents. Le Togo et les autorités maliennes sont pour une politique inclusive. Le président de la transition Bah N’Daw et la junte qui a renversé IBK, avec Goïta qui représente l’armée, voudraient inclure toutes les parties prenantes au processus. Seule la France est en désaccord. Emmanuel Macron s’était ouvertement opposé à une représentation de la junte au gouvernement malien, ainsi qu’aux pourparlers entre le Mali et la Katiba Macina.

Bien que le gouvernement togolais ne s’opposerait pas aux intérêts français au Mali, il voudrait aussi que la souveraineté malienne soit prépondérante. Et donc, de ce point de vue, le Togo ne s’est pas opposé aux pourparlers entre les autorités maliennes et la katiba Macina. Le ministre Robert Dussey aurait même tenté d’établir un contact avec le chef de la Katiba, Amadou Koufa, en avril.

Pour rappel, Koufa et la Katiba représentent les intérêts politiques d’une partie des Touaregs du Mali. Les tribus touaregs, à leur tour, ont un lien de sang avec Iyad Ag Ghali, chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Ag Ghali est le représentant d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans le Sud malien et la sous-région. Donc, l’arrangement tripartite avec la Katiba Macina inclurait le Togo, le Mali et le Niger. Ce dernier avait d’ailleurs réussi à signer un cessez-le-feu avec AQMI, après une entente avec les tribus au Nord nigérien. Même le Burkina Faso est actuellement en trêve avec AQMI depuis novembre 2020.

Des efforts de paix et des bombes françaises

Au cours de ces accords successifs de paix avec AQMI, le Togo a tenu un rôle prépondérant. La diplomatie togolaise aurait même cherché à établir son propre accord avec AQMI. Toutefois, la France s’est interposée à un moment fatidique des pourparlers. En effet, une tentative de paix avec AQMI a été interrompue par un bombardement français. Le second accord de Niono au Mali, entre les autorités maliennes et la Katiba Macina a été avorté par un raid aérien de Barkhane, fin avril. Le Mali ne pourra donc pas inclure le GSIM et Ag Ghali dans le processus de paix. De même, l’accord d’Alger ne sera pas mis en vigueur, si le commandement AQMI estime que la France décide de l’essor de la transition malienne.

Toutefois, du côté togolais, tout n’est pas encore perdu. Les discussions togolaises avec Katiba Macina ne dépendent pas de l’essor de l’agenda national d’Amadou Koufa au Mali. Dans le cas de la Katiba, il serait possible de maintenir le statu quo au Mali comme au Burkina Faso et au Togo. L’inclusion de Goïta au processus de transition, et éventuellement aux élections de 2022, pourrait envoyer un signal positif.

Notons que pour les populations maliennes, Assimi Goïta représente la résistance à la présence française, outre son rôle dans le renversement d’IBK. Donc, dans la mesure où Goïta reste au pouvoir, même la Katiba Macina n’y verrait pas d’objections. Et, par extension, le Togo aura probablement sa trêve avec AQMI, comme le Burkina Faso et le Niger.

 

Les enjeux togolais au Tchad

Le rôle joué par le Togo au Mali est évident, bien qu‘inférieur à celui joué par l’Algérie. La diplomatie togolaise, semble-t-il, cherche une autre approche pour s’affirmer au Sahel. En effet, la visite de Robert Dussey du 28 avril au Tchad suivait une approche différente. Le Tchad est exposé à la menace terroriste sur deux fronts.

A l’Ouest, au-delà de la frontière avec le Niger, AQMI est présente en force, bien qu’inactive. Dans la zone désertique entre Ngourti et Kéllé, en allant jusqu’à la frontière libyenne au Nord, les militants d’al-Annabi circulent librement et pacifiquement. Au Sud-Ouest, l’Etat Islamique est une menace plus active. Le bassin du Lac Tchad est infesté des groupuscules de Boko Haram, sous l’autorité de l’EIAO. Rappelons que L’EIAO a été à l’origine de la totalité des attentats terroristes au Sahel depuis mars.

Si le Togo venait à proposer son expertise en lutte antiterroriste au Tchad, cela pourrait avoir un double sens. D’un côté, la connexion avec Katiba Macina, et donc avec AQMI, pourrait s’étendre jusqu’à N’Djaména. Cela garantirait au nouveau président du CMT tchadien, Mahamat Déby, l’intégrité de ses frontières avec le Niger pendant qu’il se bat contre la rébellion du FACT au Nord et au centre du Tchad.

D’un autre côté, le Togo se proposerait comme allié militaire des forces G5 Sahel dans la lutte antiterroriste. Cela pourrait libérer le Togo des contraintes de la Minusma. De plus, sur le dossier de Goïta au Mali, le Togo pourrait imposer ses conditions à Barkhane. Pour le Tchad, le pas a déjà été franchi du vivant d’Idriss Déby, qui avait rappelé ses troupes antiterroristes du Niger. Eventuellement, Mahamat Déby pourrait donc les réaffecter, aux côtés des troupes togolaises, aux forces antiterroristes du G5 Sahel.

Le Togo, un hub militaro-diplomatique ?

Sur un plan continental, rassembler les troupes antiterroristes des Etats africains pour faire front à la menace de l’Etat Islamique serait inédit. Non seulement les troupes G5S, avec un soutien togolais, seraient plus nombreuses que les troupes françaises au Sahel, mais leur mandat plus étendu leur permettrait plus d’efficacité dans la sous-région.

Quant aux efforts diplomatiques, la médiation togolaise dans la transition tchadienne donne plus de légitimité à l’initiative tchadienne du G5S. Actuellement, les présidents Mohamed Bazoum et son homologue mauritanien Ould Ghazouani représentent le G5. Le rôle consultatif du G5 Sahel est d’ailleurs approuvé par l’Union Africaine (UA).

Vraisemblablement, les efforts diplomatiques de Robert Dussey et de Faure Gnassingbé auraient un autre objectif outre la stabilisation du Tchad et du Mali. Si une nouvelle coalition Togo-Sahel venait à se concrétiser, la France devra traiter avec un nombre croissant d’Etats africains aux intérêts alignés. De surcroît, on attribuerait cette « victoire à Gnassingbé, qui est en grand besoin de se repositionner diplomatiquement. Et ainsi, le Togo serait capable de discuter avec la France d’une position plus favorable. Également, Faure Gnassingbé ferait son entrée dans la diplomatie continentale et la lutte africaine contre le terrorisme.

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