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L’archéologie de l’Afrique de l’Ouest pourrait écrire autrement les manuels sur l’évolution humaine

De nouvelles preuves confirment que des différences culturelles intergroupes, notables et anciennes, ont façonné les dernières étapes de l’évolution humaine en Afrique.

Notre espèce, Homo sapiens, est apparue en Afrique, il y a environ 300 000 ans. Des objets que les premiers humains ont fabriqué et utilisé, connus sous le nom de culture matérielle de l’âge de pierre moyen (Paléothique moyen), sont présents dans une grande partie de l’Afrique et ils sont associés à un large éventail d’innovations.

Parmi celles-ci, il faut mentionner la technologie de l’arc et des flèches, des formes d’outils spécialisées, le transport sur de longues distances d’objets, tels que les coquillages marins et l’obsidienne, des objets de parure personnelle, l’utilisation de pigments, enfin le stockage de l’eau, et l’art. Même s’il est possible que d’autres ancêtres de l’homme moderne ont contribué à cette culture matérielle de l’Afrique, certains des premiers outils de pierre de l’âge de pierre moyen ont été mis au jour avec les plus anciens fossiles d’Homo sapiens découverts jusqu’à présent.

Selon les manuels, il y a 40 000 ans environ, l’âge de pierre moyen était terminé depuis longtemps, en Afrique. Il s’agit d’une étape importante de l’histoire de notre espèce : la fin de la première et de la plus longue culture associée à l’humanité, et le fondement de toutes les innovations ultérieures et de la culture matérielle qui nous définit aujourd’hui.

En dépit de son rôle central dans l’histoire de l’humanité, nous avons du mal à comprendre comment l’âge moyen de la pierre a pris fin. Parvenir à le savoir pourrait nous indiquer comment les différents groupes étaient répartis dans le paysage, comment ils ont pu échanger des idées et se transmettre des gènes, et comment ces processus ont façonné les étapes ultérieures de l’évolution humaine.

Malheureusement, de vastes étendues africaines restent presque entièrement vides sur la carte en ce qui concerne une préhistoire aussi lointaine, ce qui ne facilite pas l’étude de ces cas. La recherche a eu tendance à se concentrer sur des régions telles que l’Afrique de l’Est, où la conservation des artefacts est réputée de haut niveau, et les risques par conséquent minimisés et les gains maximisés naturellement. Cependant, en raison du consensus qui se dégage sur le fait que l’Afrique tout entière a joué un rôle dans les origines de l’humanité, nous ne pouvons plus nous permettre de négliger de vastes régions du continent, si nous voulons reconsidérer notre évolution dans un cadre réaliste.

C’est pour toutes ces raisons que mes collègues et moi-même nous sommes concentrés sur l’Afrique de l’Ouest, l’une des régions africaines les moins bien comprises sur le plan de l’évolution humaine. De plus, nos récents travaux valident les affirmations antérieures d’un riche passé de l’âge de pierre moyen.

De nouveaux travaux menés au Sénégal

En 2014, nos travaux au Sénégal ont abouti à la découverte d’un site dans le nord du pays, qui semble suggérer que l’âge de la pierre moyen s’est achevé dans cette zone bien plus récemment que ne le laissent penser les manuels scolaires. En Afrique de l’Ouest, plusieurs datations moins anciennes avaient été mentionnées par le passé, cependant ces travaux avaient été largement écartés en raison de datations problématiques, effectuées avant l’établissement des normes actuelles.

Les datations de Ndiayène Pendao indiquent que le site avait environ 12 000 ans. Pourtant, la culture matérielle était traditionnellement de l’âge de pierre moyen, sans aucun outil ni moyen de production datant de l’âge de pierre tardif (Paléolitique supérieur). En 2016 et 2018, nous sommes retournés sur le terrain pour rechercher des sites dans différentes régions du Sénégal et aux abords de divers systèmes fluviaux, près des affluents du Sénégal et de la Gambie. En effet, les sources d’eau douce étaient essentielles pour les populations du passé, tout comme elles le sont aujourd’hui ; les terrasses fluviales offrent souvent également d’excellentes conditions de conservation et sont donc des endroits propices aux recherches de sites archéologiques.

Le site de Laminia, en Gambie, n’avait jamais été daté. Nous avons procédé à une évaluation détaillée de ses couches rocheuses, afin d’obtenir des échantillons de datation que nous pouvions relier, avec assurance, aux artefacts. Les échantillons prélevés sur ce site datent de 24 000 ans, ce qui confirme la présence d’un âge de pierre moyen moins ancien, dans la région.

Le site de Saxomununya nous a réservé une surprise encore plus grande. Comme des artefacts classiques de l’âge de pierre moyen, tels que les pointes Levallois et les grattoirs retouchés, provenant de ce site, ont été mis au jour sur une nouvelle terrasse de la rivière Falémé mais aussi à l’intérieur, il devenait évident que le site était relativement récent. Cependant, la datation à 11 000 ans fait entrer l’âge de pierre moyen le moins ancien dans l’époque de l’Holocène, la période qui succède à la dernière grande période glaciaire. C’était la première fois qu’une culture matérielle aussi ancienne était découverte à une époque aussi récente en Afrique. Cette trouvaille indiquait que les résultats de Ndiayène Pendao n’étaient ni le fait du hasard ni une erreur.

Selon ces résultats, la dernière apparition connue de l’âge de pierre moyen remonte donc à 20 000 ans en arrière, ce qui est renversant. Les travaux de collègues sénégalais semblent parallèlement évoquer une première apparition de l’âge de pierre tardif tout aussi tardive, autour de 11 000 ans, moins ancienne que dans la plupart des autres régions d’Afrique.

Pourquoi l’âge de la pierre moyen a-t-il duré si longtemps et pourquoi l’âge de pierre tardif a-t-il débuté si tard ?

Croissance démographique

Une partie de la réponse à la première question réside peut-être dans le fait que certaines parties de l’Afrique de l’Ouest paraissent avoir été moins affectées par les extrêmes des cycles répétés de changement climatique. Ces facteurs peuvent avoir créé des conditions environnementales stables sur une longue période. Grâce à cette stabilité, la « boîte à outils » peaufinée et utilisée avec succès pendant des millénaires, n’avait peut-être pas besoin d’évoluer, indépendamment de la société complexe à l’origine de ces outils.

Quant à la seconde question, sa réponse réside dans le fait que cette région d’Afrique était relativement isolée. Au nord, elle rencontre le désert du Sahara et, à l’est, il y a les forêts tropicales d’Afrique centrale, qui étaient souvent coupées des forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest pendant les périodes de sécheresse. Il y a environ 15 000 ans, toutefois, une augmentation considérable de l’humidité et de la végétation forestière a été enregistrée en Afrique centrale et occidentale. Différentes zones ont ainsi pu être reliées, créant alors des corridors propices à la dispersion des populations humaines. Il se peut que cela ait sonné le glas du premier et plus ancien répertoire culturel de l’humanité et initié une nouvelle période de brassage génétique et culturel.

Il est clair que le modèle simple et unilinéaire de l’évolution culturelle vers la « modernité », qui a longtemps prévalu, n’est pas étayé par les preuves. Des groupes de chasseurs-cueilleurs ancrés dans des traditions radicalement différentes sur le plan technologique, peuvent avoir occupé des régions voisines de l’Afrique pendant des milliers d’années, et parfois partagé les mêmes régions. Par ailleurs, il est possible que des régions longtemps isolées aient été d’importants réservoirs de la diversité culturelle et génétique. Cela correspond bien aux études génétiques et pourraient avoir été un facteur déterminant pour la réussite de notre espèce. Nos résultats nous rappellent les risques liés au refus de tenir compte des lacunes cartographiques.


Eleanor Scerri, chef de groupe indépendant, Max Planck Institute for the Science of Human History

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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