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L’apartheid vaccinal est-il reconnu comme tel ?

Le monopole impérialiste de la propriété intellectuelle régissant les produits pharmaceutiques, en l’occurrence les vaccins contre la Covid-19, est une injustice. Cet apartheid vaccinal marquera-t-il l’Afrique pour toujours ?

L’Afrique normalise aujourd’hui, de plus en plus, avec l’incapacité de la majorité de ses Etats de défier la « sacro-sainte » Organisation mondiale du commerce (OMC). Tant et si bien que le seul moyen, ou quasiment, pour que les Africains obtiennent les vaccins contre la Covid-19, est l’initiative Covax. Or, des mots mêmes de l’ONU, cette initiative est « un système à deux vitesses ». Notamment, des inégalités profondes le régissent, et cela empirera à mesure que le « passeport vaccinal » sera mis en vigueur.

En effet, Covax ne suffit plus pour assurer l’immunité collective en Afrique. Les quelques initiatives de fabrication de vaccins en Afrique seront insuffisants. Car chaque type de vaccin qui fait l’objet d’un accord avec un Etat africain est systématiquement rayé de la liste du « passeport vaccinal européen ». Et ce, bien que ledit vaccin soit agréé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Pour les ressortissants des pays africains, la liberté de voyager ou de faire du commerce à l’étranger, entre autres, est condamnée. Cette partie de ping pong entre les institutions mondiales, à savoir l’OMS, l’OMC, l’Union européenne et les diplomaties des puissances mondiales, n’est pas temporaire. Et du point de vue du citoyen africain, l’achat de vaccins contre la Covid-19, ou les dons occidentaux, commencent à apparaitre comme une compensation qui ne dit pas son nom. Mais une compensation pour quel tort ?

Le passeport vaccinal, un nouveau visa pour les Africains ?

L’éthique au temps de l’apartheid vaccinal

La bonne volonté éthique que démontrent les Etats riches envers les pays dits « en développement » – soit, notamment, tous les pays africains – ne peut être sans contrepartie. Le discours moraliste de Joe Biden vis-à-vis de l’OMC, pour la levée des brevets, a eu de l’effet. Certainement, d’autres leaders ont fait part de la même volonté, ou contrainte. A l’image du président français Emmanuel Macron ou du Premier ministre britannique Boris Johnson.

Pour peu qu’il s’agisse de donner les « miettes », c’est-à-dire les vaccins qui ne sont pas administrés à Washington, Londres, Paris, Toronto ou Berlin, ces chefs d’Etat n’ont aucune objection à ce qu’ils soient distribués en Afrique. Et les médias occidentaux s’assurent que la mise en scène soit bien ficelée. Afin que l’Afrique sache que ses « partenaires internationaux » lui ont octroyée une faveur inouïe.

Néanmoins, c’est un effacement actif d’une Histoire réelle et récente. Celle où les représentants de ces Etats auprès de l’OMC ont voté contre le droit de l’Afrique de fabriquer des vaccins. Ensuite, afin de légitimer cette mesure puriste, injuste et claire au-dessus de tout doute sur les intentions des décisionnaires ; ces derniers ont « élu » un visage familier, une femme africaine, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, afin de conduire le fiasco. Ou, afin d’en essuyer le blâme. Ce serait une question de perspective.

Pourquoi est-ce un « apartheid » ?

La manifestation de l’OMC comme le fer de lance de l’apartheid vaccinal a plusieurs buts. Le plus évident est le respect des institutions. Pourtant, la partie du monde qui impose ce respect, le bafoue lorsqu’il s’agit de l’OMS. Car la première est une institution économique, et la seconde est une institution politisée.

Les essais de l’ère de l’apartheid sud-africain, dont la collection « Guerilla Radios in Southern Africa », raconte ce paradigme. Et le lecteur lambda n’aura aucune difficulté à faire le parallélisme entre les deux apartheids. La dépolitisation de tout ce qui était africain a grandement contribué à atténuer la résistance aux crimes ségrégationnistes. Et la dépolitisation de tout ce qui est sanitaire, depuis l’avènement du coronavirus, a eu le même effet.

Tout comme les entreprises ont vidé la musique, la littérature, la philosophie et l’histoire africaines de leur âme. La « communauté internationale » a vidé le secteur sanitaire d’humanité. Force est de constater que les faits de la lutte contre la Covid-19 contrastent avec l’histoire qui sera retenue.

L’apartheid vaccinal n’est pas une question politique. Ce n’est pas un débat, ni un vote pour ou contre. C’est une question de décence humaine. Car la mort d’êtres humains n’est pas politique, sauf dans un régime d’apartheid. Il n’y a pas d’apartheid là où les arguments des deux camps sont valables. Et croire le contraire est l’essence même de la pensée suprémaciste. Lorsque la peur d’aliéner la partie forte dépasse celle de la mort massive d’êtres humains, il ne s’agirait pas de pensée pragmatique. Il s’agit d’un suivisme inconditionnel, imposé par la voracité ou la lâcheté.

Peut-on parler d’apartheid vaccinal en Afrique ?

Il est facile d’ignorer ce que l’on ne peut comprendre

La fabrication et la distribution des vaccins selon des normes occidentales marginalise l’Afrique. Ce n’est pas uniquement une histoire qui se répète. C’est un généreux frottement de sel dans les plaies d’un monde marginalisé. Le poids de l’Afrique, actuellement, n’est pas suffisant pour alimenter une action mondiale contre l’indécision délibérée de l’OMC.

Là encore, même l’indignation publique, centrée dans chaque pays africain et dirigée vers son Etat, est insuffisante. Elle ne saurait pas rivaliser avec les rejets occidentaux des dérogations aux brevets pour les vaccins, les traitements et la technologie médicale. Ce ne serait pas seulement une question d’unité africaine. C’est le silence qui impose, avant tout autre facteur, ce traitement que subit l’Afrique.

Actuellement, 22% de la population mondiale a reçu une dose de vaccin contre la Covid-19. Contre 0,8% dans les pays à bas revenu. Dans les pays occidentaux, on ouvre la vaccination aux enfants. L’Afrique a obtenu 1% des vaccins administrés dans le monde pour 18% de la population mondiale. Ce manque ne relève pas uniquement de la faiblesse des gouvernements. Il n’est pas reconnu comme un rapport entre producteur et consommateur, entre colon et indigène, ou entre vacciné et malade.

Lorsque le passeport vaccinal sera une réalité mondiale inévitable, l’Afrique serait encore plus isolée. A cause du passif économique de l’Afrique, et sa dépendance du commerce et des ressources humaines pour le développement, le train-train de l’économie mondiale serait conditionné. Cependant, personne ne peut nier que la disponibilité des vaccins présage un rapport tyrannique dans le futur, dont la partie dominante et dominée sont les mêmes qu’hier.

La levée des brevets sur les vaccins anti-Covid-19 à l’ordre du jour du Sommet des 27

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