Bien que l’Italie ait décidé de mettre fin à son programme africain, l’ancienne cheffe de la diplomatie italienne Emanuela Del Re négocie des contrats sur le continent. Pour ce faire, elle s’appuie sur une stratégie gagnant-gagnant.
Vis-à-vis du continent africain, la France et l’Italie ont deux politiques aux antipodes. La Grande botte est, certes, une ex-puissance coloniale, qui a occupé l’est de la Libye et de la Corne de l’Afrique. Mais l’Italie avait quitté le continent dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, là où les autres puissances ont été bottées hors d’Afrique dans les années 1950 et 1960. Lors des dernières décennies, les relations entre l’Italie et ses anciennes colonies en Afrique se sont d’ailleurs résumées à des contrats d’infrastructure et d’exploitation pétrolière signés avec la Libye, le Maroc, la République démocratique du Congo et le Nigéria, via le géant de l’infrastructure Trevi et la major pétrolière Eni.
Mais entre 2018 et 2021, l’ancienne ministre italienne des Affaires étrangères, Emanuela Del Re, a cherché à dupliquer le modèle turc en Afrique. Il s’agissait alors de développer le volet économique sans montrer une quelconque ingérence politique sur le continent. Alors que l’Italie se retrouvait isolée en Europe et malgré l’absence de Mouammar Kadhafi, qui faisait régulièrement appel à des sociétés italiennes pour ses nombreux projets en Afrique subsaharienne, Emanuela Del Re avait décidé de prendre plusieurs mesures pour tenter de s’imposer en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. La ministre pouvait alors s’appuyer sur un savoir-faire italien e matière d’infrastructures et de pétrole, mais également sur un sentiment anti-français qui s’étendait partout en Afrique.
Une relation « win-win »
L’Italia Africa Business Week (ABW), organisée par l’Italo-Burkinabé Cleophas Adrien Dioma, bras droit d’Emanuela Del Re, a permis à l’Italie de mettre en place un nouveau cadre d’échanges entre les investisseurs italiens et les entrepreneurs africains. Les entreprises italiennes ont alors commencé à botter hors du continent plusieurs entreprises françaises. Ferrero a ainsi racheté les usines de Nestlé au Cameroun et en RDC en 2017, Eni a remporté des contrats d’exploitation de pétrole et d’infrastructures énergétiques au Nigéria, en RDC, au Mozambique, au Maroc, en Egypte et en Zambie en 2018. Quant à Trevi, le groupe a fait son entrée sur le juteux marché des infrastructures reliant la RDC à l’Ouganda et au Rwanda.
Cette montée en puissance rapide des entreprises italiennes en Afrique, accompagnée d’une diplomatie active — l’Italie avait installé cinq nouvelles ambassades à Luanda, Niamey, Brazzaville, Ouagadougou et Conakry — a forcément réduit l’influence des voisins européens de la Grande botte. L’Italie avait alors l’avantage d’une position anti-française partagée par les populations africaines. Le gouvernement italien de Conte, né d’une drôle d’alliance entre l’extrême gauche et l’extrême droite, était alors très critique envers le néocolonialisme français en Afrique.
Emanuela Del Re avait alors développé une stratégie aux antipodes de celle de la France : « L’Italie a développé avec l’Afrique un modèle qui lui est propre. L’idée la plus importante est celle d’un partenariat fondé sur une relation d’égalité. Je me réfère souvent au concept d’afropolitanisme », disait-elle. Quant à la question migratoire, la ministre des Affaires étrangères considérait que « la responsabilité doit être partagée au niveau européen ». Un discours très éloigné de ceux des autres dirigeants européens.
L’Italie perd son bras de fer avec la France
Lors d’un meeting en 2018, la cheffe de file des souverainistes italiens, Georgia Meloni, avait fustigé le président français. « Honte à toi Emmanuel Macron (…), avant de ‘libérer l’Europe des Africains’, il faut libérer l’Afrique de certains européens qui impriment la monnaie pour quatorze nations africaines ‘souveraines’, font travailler les enfants dans les mines, jalousaient l’Italie pour son rapport privilégié avec Kadhafi et ont détruit la Libye en nous exposant au chaos migratoire aujourd’hui ». Et la politicienne de poursuivre que « les Africains ne fuient pas l’Afrique, ils vous fuient vous ! (la France, ndlr) ».
Face à ce que la France considérait alors comme un acte de diplomatie hostile, Paris rappela en 2019 son ambassadeur en Italie. A l’aube de la crise sanitaire de la Covid-19, début 2020, l’Italie se retrouva isolée par l’Union européenne. Et peu à peu, le gouvernement de Giuseppe Conte commença à s’effriter, jusqu’à ce que la coalition parlementaire finisse par éclater. Dès octobre 2020, l’ancien président de la Banque centrale européenne, appuyé par la France, l’actuel Premier ministre italien Mario Draghi prit le pouvoir. Emanuela Del Re ne fut évidemment pas reconduite, ce qui mit un coup d’arrêt aux projets de partenariats entre l’Afrique et l’Italie.
Emanuela Del Re fait le pont entre l’Italie et l’Afrique
Si l’Etat italien ne semble aujourd’hui plus intéressé par la poursuite de son programme africain, les acteurs privés, eux, voient dans cet arrêt un manque à gagner. Emanuela Del Re reste de son côté active et on retrouve son nom dans de nombreuses négociations enclenchées par l’industrie italienne sur le continent. Reconvertie envoyée spéciale de l’Union européenne pour le Sahel, l’ex-ministre aurait, selon des sources qui se sont confiées au Journal de l’Afrique, été à l’origine de la médiation entre le patron d’Eni, Claudio Desclazi, et le milliardaire émirati Mansoor Mohamed Al Hamed, PDG de Mubadala Petroleum. Les deux entreprises d’hydrocarbures ont signé un accord pour l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole découverts par Eni au large de la Côte d’Ivoire. Un autre accord concerne la création de deux centrales électriques à hydrogène en Libye et au Burkina Faso.
Félix Tshisekedi parle de l’Afrique “une terre d’avenir” au Forum Ambrosetti en Italie https://t.co/6IOsZPRQjM
— DESKECO.COM (@deskecocd) September 5, 2021
En juillet et en août derniers, Emanuela Del Re s’est également déplacée en RDC, officiellement pour rencontrer les autorités après l’assassinat, en février dernier, de l’ambassadeur italien Luca Attanasio. Officieusement, la diplomate chercherait à faire gagner à Eni une part du marché pétrolier congolais. Avec la sortie progressive de l’Anglo-Néerlandaise Shell de RDC, et alors que l’Etat renégocie les contrats conclus sous Kabila, la compagnie italienne se verrait bien prendre la place de Shel. Sur le volet sahélien, l’envoyée spéciale de l’UE a annoncé, le 9 septembre, son départ en missions officielles au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger. Des missions diplomatiques, mais qui ont également pour objectif de nouer de nouveaux partenariats. Si l’Italie semble aujourd’hui moins intéressée par l’Afrique, Emanuela Del Re se donne les moyens de poursuivre le programme qu’elle avait elle-même mis en place au ministère des Affaires étrangères.