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[Gangs d’Afrique] Les « bébés noirs » ou le crime… désorganisé

Bébés noirs

A Brazzaville, la paisible capitale du Congo, depuis six ans, des gangs de jeunes effraient les populations. Le phénomène des « bébés noirs » fait désormais partie du quotidien des Brazzavillois.

De Talangaï à Moungali, en passant par le quartier de Poto-Poto, quand la nuit tombe à Brazzaville, la capitale du Congo, mieux vaut ne pas emprunter les rues sombres. Car dans ces ruelles faites de sable et de cailloux, les « bébés noirs » font régner la terreur.

Les « bébés noirs », ce sont de jeunes gangsters qui parcourent les quartiers défavorisés de Brazzaville. Un phénomène que l’on a déjà pu observer en Italie ou au Royaume-Uni, avec les « Baby Gangs ». Du côté des « bébés noirs », c’est la désorganisation totale : aucune hiérarchie et pas d’objectif précis… Mais avec eux, les actes de violence se multiplient et, bien souvent, ce n’est même pas pour une question d’argent. Mais alors, qu’est-ce qui motive les « bébés noirs » congolais ?

Ce manque d’organisation et le fait qu’ils n’aient pas de revendications claires font qu’il est très difficile pour les forces de l’ordre de venir à bout de ces gangs, formés de jeunes âgés de 12 à 25 ans.

On reconnait les « bébés noirs » à leur machette, au short et au débardeur qu’ils portent, et dont les couleurs diffèrent selon le groupe. Le plus connu est certainement « Les Américains », de Moungali.

Mais justement, lorsque les « bébés noirs » ne sont pas en guerre entre eux, ils se tiennent en embuscade dans toutes les ruelles de Brazzaville. Et s’attaquent aux passants, certains se faisant dérober quand d’autres se font balafrer. Des groupes qui consomment de grosses quantités d’alcool et de drogues…

Omerta à Brazzaville… ou vendetta

Un modus operandi étrange mais qui a ses raisons : si aucun Brazzavillois n’ouvrirait sa porte à un « bébé noir », personne ne dénoncerait pour autant les membres du gang. Car les expéditions punitives des « bébés noirs » visent les familles et les quartiers des « balances ». On recense au moins 17 000 cas de coups et blessures volontaires, plus de 5 000 mutilations et des dizaines de meurtres en 2021 à Brazzaville, tous attribués à ces jeunes gangsters.

Les plaintes contre X, dans la capitale congolaise, se multiplient, contre les « bébés noirs ». Problème : si ce gang n’est pas une légende urbaine, son activité criminelle est pourtant loin d’être organisée. Et cela pose un véritable souci. Les autorités congolaises ont beau avoir lancé plusieurs opérations de nettoyage, rien n’y fait. Depuis l’apparition des « bébés noirs » à Brazzaville en 2015, la police judiciaire congolaise a pourtant arrêté des centaines de présumés membres du gang. Et si beaucoup d’entre eux se font arrêter dans les lycées, les forces de l’ordre ne s’aventurent jamais dans les quartiers les plus touchés.

Norbert Massamba, gendarme à Brazzaville, explique au Journal de l’Afrique que « les patrouilles ne peuvent pas les arrêter en flagrant délit. Ils ont des guetteurs et quand nous les contrôlons, ils se sont déjà débarrassés de leurs armes ou des drogues. Les habitants des quartiers ne veulent pas témoigner ».

« On ne peut pas simplement arrêter des mineurs parce qu’ils se cachent dans les ruelles la nuit. Parfois on en attrape certains pour possession de drogue. Mais encore faut-il qu’on arrive à les encercler. Les ‘bébés noirs’ choisissent toujours les quartiers aux routes accidentées », déplore le gendarme.

Tant que les « bébés noirs » ne dérangent pas les bourgeois…

Pourtant, plusieurs chefs des « bébés noirs » ont été arrêtés au fil des années. Michel Kikayou, le chef du groupe « Les Américains », a été arrêté en 2018. Dans son témoignage, rendu public, il déclarait qu’à l’origine, les « bébés noirs » étaient un groupe d’artistes, dont les fans, des jeunes défavorisés, s’organisaient en groupes. Mais en raison de la « jalousie » et de « l’utilisation de magie », selon les dires de Kikayou, une guerre aurait éclaté entre groupes rivaux.

Trois ans plus tard, un brigadier-chef de la police, Roy Soko Okamba, a également été arrêté à Brazzaville. Selon le ministère de l’Intérieur, c’était en réalité Okamba qui se trouvait à la tête des « bébés noirs ». Le policier a été condamné pour vol à main armée, association de malfaiteurs, dix meurtres et des dizaines de viols. Cependant, moins d’un an plus tard, en mars 2022, le chanteur DJ Boleance a à son tour été accusé d’être à la tête de l’organisation, après avoir été arrêté pour le meurtre de sa femme.

Quoi qu’il en soit, s’il y a indéniablement une omerta vis-à-vis des « bébés noirs », le silence n’est pas seulement imputé aux criminels et aux habitants. Selon un responsable politique congolais, qui a tenu à garder l’anonymat, « il n’y a pas de vraie volonté pour arrêter les ‘bébés noirs’. Malgré la violence. Tant qu’elle ne touche pas les ‘lokumu na bozwi’ (la classe dirigeante ou les bourgeois, en argot brazzavillois), les autorités préfèrent les éviter. Et parfois, les utiliser ».

Lire : La « rééducation » des criminels

Des accusations qui s’additionnent aux dires des médias locaux, dont plusieurs parlent de « malfrats arrêtés et parfois condamnés par la justice » qui « se retrouvent des jours après dans les rues pour agresser à nouveau ».

Il faut également relever les similitudes entre ces gangs et les « kulunas ». Ces derniers sont des groupes criminels en République démocratique du Congo (RDC), souvent jugés pour travail forcé par les autorités de l’autre rive du fleuve. Par ailleurs, plus de 400 ressortissants de la RDC avaient été expulsés de Brazzaville en 2014, accusés d’être… des « bébés noirs ». Visiblement, ils n’en étaient pas.

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