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Egypte : vers un scénario à la libanaise ?

Egypte

Alors que Le Caire a annoncé que ses réserves de céréales ne tiendraient pas plus de trois mois supplémentaires, l’économie égyptienne est de plus en plus fragile dans le pays. La crise ukrainienne aurait-elle mis à nu l’irresponsabilité des choix économiques d’Abdel Fattah al-Sissi ?

Construction d’une nouvelle capitale et d’un réacteur nucléaire, lancement de satellites, refonte des infrastructures routières, augmentation des capacités du canal de Suez… les choix économiques de l’Etat égyptien ont souvent été salués par une cohorte de journalistes qui, sous menace d’emprisonnement et d’une loi antiterroriste taillée sur mesure pour al-Sissi, ne peuvent que faire autrement que de soutenir la dictature militaire qui tient le pays.

Pourtant, la situation économique n’est pas aussi bonne que le laissent penser les articles des journaux du pays. Alors que l’Egypte est le cinquième plus gros acheteur d’armes dans le monde en 2021, la politique économique d’al-Sissi semble avoir atteint ses limites : l’Egypte a besoin de fonds pour subventionner les produits de première nécessité et maintenir la livre égyptienne à un degré raisonnable de dévaluation.

Sur ce dernier volet, et les spécialistes de tous bords s’accordent sur ce constat, l’Etat égyptien, sous Abdel Fattah al-Sissi, a dilapidé ses larges réserves de devises. Créant un marché « trop nerveux » selon le géant américain Goldman Sachs.

Aujourd’hui, l’heure est aux comptes. Ce mercredi 4 mai, lors d’un conseil des ministres, le Premier ministre égyptien Moustafa Madbouli a annoncé que les réserves de céréales « suffiront à garantir la consommation locale pendant 2,6 mois supplémentaires ».

Le chef du gouvernement assure que l’Etat mettra le paquet pour importer les produits de première nécessité menacés par la pénurie. Cependant, les économistes s’inquiètent quant à « un scénario à la libanaise » en Egypte. A savoir que, après un endettement massif, et des dépenses colossales dans les projets à long terme, l’inflation due à la crise mondiale pourrait avoir raison du « miracle économique » égyptien.

L’Ukraine… une catastrophe pour l’Egypte

En effet, le conflit en Ukraine a coûté au Caire deux de ses alliés économiques majeurs : l’Ukraine et la Russie. Kiev était la deuxième source de touristes en Egypte, et les touristes ukrainiens rapportaient à l’Egypte plus de 14 milliards de dollars par an de ses recettes de devises (chiffres officiels 2019-2020).

Quant à la Russie, premier partenaire énergétique de l’Egypte sous Abdel Fattah al-Sissi, l’embargo qu’elle subit a coupé net les importations égyptiennes de pétrole. L’Egypte comptait aussi sur l’entreprise russe Rosatom pour la construction rapide de quatre centrales hydrauliques et la première centrale nucléaire, financées en grande majorité par la Russie.

Sans parler des importations de céréales. L’Egypte est le premier importateur africain de céréales russes et ukrainiennes, à hauteur de plus de 85 % de ses besoins. Une dépendance qui, aujourd’hui, risque de coûter cher à l’Egypte.

Tant de carences qui se répercutent sur une inflation que l’Etat essaye de subventionner à tout prix, afin d’éviter la grogne sociale. Là où l’urgence se situe, c’est que le pays nord-africain aura fort à faire pour trouver un plan B.

L’Egypte entre endettement sauvage et stabilité précaire

En effet, en 2016, l’Egypte avait traversé une récession, suivie par une augmentation rapide des prix des produits essentiels. Le Caire avait alors rapidement sollicité le Fonds monétaire international (FMI), ainsi que l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis (EAU) pour des prêts s’élevant à un total de 43 milliards de dollars. En contrepartie, l’Egypte avait laissé flotter sa monnaie et l’avait dévaluée de 50 %.

Elle a également dû réduire ses dépenses publiques, seulement pour se retrouver contrainte de subventionner les liquidités de la Banque centrale, ce qui a coûté beaucoup plus que les prêts et aides perçus ces dernières années.

Une gestion du moins hasardeuse. Mais si, de prime abord, la cause de la crise actuelle est la guerre en Ukraine, certains spécialistes estiment que des causes plus profondes expliquent la fragilité de l’économie égyptienne.

Pour le doyen de l’université américaine du Caire, Samer Atallah, le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne serait que « la goutte qui a fait déborder le vase ». Pour l’économiste, la structure de l’économie égyptienne, qui encourage les investissement appelés « argent chaud », l’a rendue extrêmement vulnérable.

« Ces types d’investissements, bien que lucratifs pour l’Égypte à court terme, sont facilement déracinés et vulnérables face à toute turbulence économique, financière ou politique. Et il y a eu peu d’investissements directs étrangers pour soutenir l’économie et renforcer sa croissance », estime Atallah.

Lire : Egypte : la fin du « miracle économique » ?

Selon le macro-économiste Michel Santi, si l’Egypte demeure « trop grosse pour s’effondrer », le pays ne déclare que la moitié de sa dette souveraine. Mais face aux dépenses urgentes du pays, qui peine à nourrir ses populations, le spécialiste rappelle que : « l’Egypte est le second plus important débiteur du FMI après l’Argentine, sachant qu’il est également redevable à la Banque Mondiale, à la Banque africaine de Développement et même à l’Allemagne de sommes faramineuses ».

Abdel Fattah al-Sissi observe-t-il aujourd’hui un scénario qui l’obligera à se détacher de certains de ses mégaprojets ou faire face à la révolte d’un peuple de plus en plus appauvri ? Dossier à suivre.

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