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De quoi la France est-elle le nom dans le monde… et en Afrique ?

À l’aube d’un nouveau quinquennat, Frédéric Charillon, professeur de science politique, revient sur les politiques africaine et étrangère de la France lors de ces cinq dernières années.

Un quinquennat s’achève, et une nouvelle page de la politique étrangère de la France vient donc de s’écrire. Elle a déjà fait l’objet de contributions, d’essais, ou de bilans divers.

Qu’en retiendra-t-on ? Y a-t-il eu des épisodes marquants, des avancées indéniables, des échecs piteux, des réformes importantes ?

À vrai dire, la question ne se pose plus en ces termes dans les relations internationales contemporaines : l’évaluation d’une politique étrangère est devenue difficile. Les interventions libyenne (2011) et malienne (2013) par exemple, d’abord présentées comme des succès, ont finalement été regrettées (pour la Libye) ou se sont compliquées ensuite (au Mali).

Ailleurs, à l’inverse, des présidences d’abord très critiquées dans leur action diplomatique ont été vues avec le temps sous un jour plus favorable, comme la politique étrangère de Jimmy Carter (1977-1981) aux États-Unis. Des administrations très entreprenantes sur le front extérieur (la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan), finissent par poser la question du prix de l’aventurisme en interne. L’URSS des années 1970 cumulait les succès internationaux (défaite américaine au Vietnam, victoires communistes en Angola ou au Mozambique, en Asie, invasion de l’Afghanistan…) mais s’est effondrée quelques années après.

C’est donc un autre type de questions qu’il faut poser, à la fois moins globales et plus profondes. Moins globales, car il n’y a pas « un » bilan de politique étrangère : celui-ci s’apprécie dossier par dossier. Plus profondes car une politique étrangère demeure avant tout un message et une anticipation de ce que sera la défense des intérêts et des valeurs d’un pays dans le monde qui vient.

Les cinq années qui viennent de s’écouler ont donné à voir des séquences françaises fortes, d’autres essentiellement symboliques, tandis que d’autres encore, moins médiatisées, ont pu paradoxalement obtenir davantage de résultats. À l’issue de cette période, notre diplomatie a bien des défis à relever, qui devront être pris à bras-le-corps dès le prochain mandat.

Moments forts, rayonnement et persévérance

Président jeune issu d’une élection surprenante, Emmanuel Macron a connu d’emblée un succès de curiosité dans le monde : la presse internationale s’y est intéressée, ses premiers discours ont été relayés et étudiés dans les cercles de spécialistes de nombreux pays (revues, think tanks…).

Une cohérence a rapidement été perçue dans le sens d’une approche européaniste, libérale (opposée notamment aux « illibéralismes » d’Europe orientale), et multilatéraliste. Le souhait de parler à tous, sans tabou (du sommet franco-russe de Versailles en 2017 jusqu’à la rencontre avec le Prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane fin 2021, en passant par l’Égyptien Sissi), a été critiqué, mais assumé comme méthode.

Plusieurs moments ont marqué les esprits : le discours de la Sorbonne sur l’Europe (26 septembre 2017), ceux de Ouagadougou sur l’Afrique (28 novembre 2017), ou aux Nations unies sur les inégalités ; une visite spectaculaire à Beyrouth au lendemain de l’explosion du 4 août 2020 ; la restitution d’œuvres d’art à plusieurs pays ; des tentatives de dépassionner les enjeux mémoriels par le recours aux historiens (Rwanda, Algérie), ou de décrisper des relations tendues (avec la Russie de Poutine ou l’Amérique de Trump) ; de nouveaux types de sommets multilatéraux (One Planet sur l’environnement, Choose France sur l’attractivité économique) ; une participation forte à la cohésion européenne dans les négociations sur le Brexit…

Ces initiatives n’ont pas toutes abouti : le Liban reste dans l’impasse, l’Algérie n’a pas encore saisi la main tendue, Poutine et Trump ne sont pas de ceux que l’on amadoue facilement…

La visite d’Emmanuel Macron a suscité beaucoup d’espoir au Liban, sans pouvoir sortir le pays de l’ornière.

Mais d’autres canaux, discrets, se sont révélés plus porteurs que ce que le débat public en a retenu : en Libye, d’abord critiquée pour son soutien au Maréchal Haftar, la France a accueilli trois réunions clés avec les principaux protagonistes (juillet 2017, mai 2018, novembre 2021). Ces efforts ont contribué à donner à ce pays une nouvelle perspective d’élection présidentielle reconnue par l’ensemble des parties prenantes – même si, pour l’heure, le scrutin a été repoussé.

D’autres moments furent plus délicats. Des positions furent mal comprises par les partenaires, comme la « mort cérébrale » de l’OTAN annoncée par Emmanuel Macron dans une interview à l’hebdomadaire britannique The Economist en novembre 2019), ou l’« ouverture exigeante » envisagée à l’égard de la Russie, qui a inquiété certains voisins européens et dont on a surtout retenu la polémique sur l’existence d’un « État profond » au sein du quai d’Orsay…

Des tensions plus inédites apparurent également : citons la crise avec le Royaume-Uni post-Brexit, la contestation de la présence française au Sahel ou encore le camouflet qu’a constitué l’abandon du contrat australien sur la fourniture de sous-marins français

Mais au final, le lien avec Washington reste confiant, les fils du dialogue avec Moscou ou Ankara n’ont pas été rompus, la France parle à tout le monde. Des épisodes présentés comme autant de « coups » ont en réalité, parfois, fait avancer la diplomatie.

Quelle France pour quel monde ?

Y a-t-il pour autant un fil directeur ? Une « grande stratégie » ? De quoi la France est-elle le nom dans le monde ? Que veut Paris pour lui-même, pour l’Europe, pour les relations internationales ? Le quinquennat 2017-2022 aura-t-il aidé à défricher ces questions ? Oui et non.

Oui car – on l’a dit – Emmanuel Macron a voulu donner une marque à sa politique étrangère : l’Europe, le multilatéralisme libéral, la lutte contre les inégalités furent des éléments répétés d’un discours au final constant. Non, car les moyens ont manqué pour transformer ces objectifs en réalisations, et le contexte international n’était pas favorable.

Élu avec un programme qui annonçait une France « indépendante, humaniste, européenne », Emmanuel Macron envisageait de dégager des marges de manœuvre budgétaires (par le retour aux équilibres financiers), puis de consolider l’Europe-puissance, afin de poursuivre une ambition internationale. Mais de Gilets jaunes en Covid-19, les cordons de la bourse se sont encore resserrés. De Brexit en populismes, l’Union européenne s’est divisée, et « l’Europe-puissance » reste introuvable, malgré quelques avancées.

Emmanuel Macron continue à soutenir le principe d’« Europe-puissance » et veut en faire l’un des axes de la présidence française de l’UE.

Paris est aujourd’hui bien seul à vouloir la ressusciter encore. L’affaire eut sans doute été différente avec un David Cameron à Downing Street, un Barack Obama à la Maison Blanche, et une Angela Merkel sans entrave à Berlin. Mais, arrivé à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron a dû nager à contre-courant. Le trumpisme, puis Boris Johnson et la difficile coalition allemande qui a émergé des élections serrées de 2017 ont fait de ce président européen, libéral, libre-échangiste et multilatéraliste un résistant au milieu des obstacles, plus qu’un élément moteur dans son milieu naturel.

Qui plus est, la Russie revient en force dans le jeu de la sécurité européenne, et la Chine dans le jeu mondial, avec des intentions que l’on ne saurait qualifier d’amicales. En Afrique, où la France mesure souvent sa puissance, et se trouve à la peine au Sahel, neuf ans après le début de son intervention militaire au Mali, ces deux protagonistes-là sont omniprésents.

Ankara s’est joint à ce club autoritaire, et les relations franco-turques ont été exécrables, jusqu’à passer près de l’incident militaire (en juin 2020, au large des côtes libyennes). La tutelle turque sur une partie de l’islam européen contribue grandement à la tension entre les deux pays : Recep Tayyip Erdoğan n’a pas ménagé ses efforts pour dénoncer une France « islamophobe », troublant par ailleurs le jeu otanien, et multipliant les pressions migratoires sur l’Union européenne.

La diplomatie française voit ses adversaires gagner du terrain, ses moyens budgétaires s’amenuiser, les défis se multiplier. Emmanuel Macron semble avoir fait le lien – à raison – entre défense des valeurs et défense des intérêts. Car quels intérêts resteraient à défendre dans un monde dominé par des puissances aux valeurs opposées aux nôtres ? Sans présenter l’enjeu sous la forme d’une croisade ni évoquer de « containment » – comme le font souvent les États-Unis – la France a pointé du doigt la menace qui émergeait de ce clivage de plus en plus net entre démocraties libérales et populismes national-autoritaires.

Défis à venir

Faut-il, pour affronter ces défis, un nouvel instrument diplomatique ? Il n’y eut pas de réforme du quai d’Orsay sous Emmanuel Macron (il y en avait eu sous Nicolas Sarkozy avec Bernard Kouchner au poste de ministre des Affaires étrangères, et sous François Hollande avec Laurent Fabius. Même si la réforme de l’ENA, devenue Institut national du service public, et la suppression du corps diplomatique bouleverseront peut-être la donne.

Que manquerait-il alors ? Un budget plus élevé, bien sûr, mais la conjoncture économique mondiale ne se commande pas. Ou encore une prise de conscience plus forte des guerres d’influence qui s’annoncent.

Le quai d’Orsay vient d’édicter une « feuille de route de l’influence », qui montre que le sujet émerge enfin. Mais l’influence est aussi une culture, qui sera longue à ancrer et coûteuse à entretenir. Elle suppose une inscription dans le circuit international des idées, avec des think tanks, l’organisation d’événements internationaux, ou des structures dédiées, qui prendront du temps et de l’argent pour se mettre en place.

Un débat existe également sur les outils d’une réflexion stratégique à la fois plus novatrice, plus irriguée de pensées extérieures à l’État, et plus systématiquement prise en compte au plus haut niveau du processus décisionnel.

Faut-il créer un « National Security Council » à la française, c’est-à-dire une instance chargée de coordonner la réflexion et de conseiller le président sur les affaires stratégiques ? Rattaché à qui ? Avec quels moyens ? Pour remplacer quoi, ou bien s’y superposer comment ? Faut-il remettre sur le métier la réflexion sur l’audiovisuel extérieur, peu performant en France malgré quelques succès (comme RFI, qui a trouvé son public mondial depuis longtemps, ou France 24, dont le programme en anglais est bien identifié à l’étranger) ? Revoir la philosophie et les relais de l’aide au développement ? Jouer davantage avec les acteurs privés, par exemple en se concertant mieux avec les ONG ? Trouver des niches thématiques pour un « nation branding » de la diplomatie française, afin d’identifier sur la scène mondiale les sujets sur lesquels la France est en pointe ? Pendant les cinq dernières années, on peut comprendre que d’autres urgences ont pu retarder ces réflexions. Elles ne pourront pas être repoussées indéfiniment.


Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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