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Dans le Bassin du Congo, le VIH est encore loin d’être vaincu

Pour être efficaces, les formules vaccinales doivent couvrir toutes les souches émergentes, mais il subsiste beaucoup d’inconnues.

Des progrès considérables ont été accomplis dans la réalisation des objectifs 90-90-90 des Nations unies, afin de mettre fin au VIH/sida en tant que menace pour la santé publique. Ces objectifs consistent en ce que 90% des personnes séropositives connaissent leur statut, 90% reçoivent un traitement et voient leur charge virale supprimée.

Mais l’épidémie est encore loin d’être vaincue. L’une des principales raisons est la diversité dont fait preuve le virus du groupe M du VIH (VIH-1M), et qui affecte la mise au point de vaccins et de traitements.

Présentement, il existe quatre groupes de VIH-1 (groupes M, N, O et P). Chacun d’eux est issu d’une transmission indépendante d’un primate non humain à un humain. Le VIH-1 de groupe M (VIH-1M) est aujourd’hui responsable de la pandémie mondiale de SIDA. Il peut englober des sous-types et de nombreuses formes recombinantes appelées « clades » ou « souches ».

Pour concevoir des interventions biologiques à long terme et pertinentes à l’échelle mondiale, il importe surtout de bien comprendre les fondements biologiques des divers types de VIH-1M : leur manifestation, leur propagation et leur influence sur l’ampleur et la durée de chacune des sous-épidémies de VIH-1.

J’ai passé des années à étudier les différentes étapes que le VIH-1M a franchies, depuis son introduction chez l’homme jusqu’à ce qu’il devienne l’un des principaux virus en circulation dans le monde. Une grande partie de mes travaux ont porté sur le bassin du Congo, une région située au centre du continent, qui s’étend sur six pays et se compose principalement de forêts équatoriales.

C’est là que le VIH-1M est le plus diversifié, même si la prévalence du VIH dans cette région est faible. Les infections ont permis d’observer presque toutes les principales lignées de VIH-1M décrites, en plus de souches inhabituelles et rares du groupe non-M.

La région est également le lieu de transmission d’une espèce à l’autre de tous les groupes de VIH-1 et le point de départ de l’épidémie mondiale de VIH vers 1960.

Actuellement, nous ne savons pas pourquoi il y a 10 fois plus de souches différentes de VIH-1M dans la région du bassin du Congo que dans le reste du monde. Il s’agit là d’une piste de recherche importante, et c’est celle qui m’a le plus préoccupé dans mon travail.

Le principal objectif de mes recherches a été d’évaluer ce qui fait qu’une souche survit et se propage et pas une autre. Pourquoi tant de souches inhabituelles trouvées dans le bassin du Congo n’ont jamais quitté la région? Est-il possible que les souches répandues, à l’origine des épidémies de VIH dans le monde entier, aient simplement infecté une personne qui, après avoir déménagé dans une autre partie du monde, s’est révélée être un transmetteur efficace ? Ce sont là des questions très importantes auxquelles les études de terrain ont du mal à répondre.

De nos jours, il est possible d’utiliser la fonction des différentes protéines du VIH-1M pour évaluer les différences biologiques entre les diverses lignées. Ce que mes collègues et moi-même avons découvert jusqu’à présent indique qu’il existe des différences biologiques spécifiques entre les clades de VIH-1M, qui peuvent expliquer leur propagation inégale dans le monde.

C’est important parce qu’une stratégie vaccinale ou curative fructueuse doit prendre en compte les questions relatives à l’émergence du VIH et anticiper les facteurs régissant cette émergence. Pour être efficaces, les formules vaccinales doivent couvrir toutes les souches émergentes.

Mais il y a encore beaucoup d’inconnues.

Une recherche en cours

Dans notre étude en cours, nous avons utilisé la fonction de l’une des protéines du VIH-1M, la protéine Nef, pour comprendre l’épidémie de VIH au Cameroun.

L’activité optimale de cette protéine consiste à favoriser la réplication efficace du virus et à le rendre plus transmissible. Nous avons utilisé des échantillons provenant de deux cohortes distinctes : des individus vivant dans des villages reculés, notamment autour du site présumé de la transmission entre les espèces, et d’autres résidant dans la ville cosmopolite de Yaoundé.

Nos données préliminaires ont indiqué que jusqu’à 18 clades distincts de VIH-1M circulaient au Cameroun.

En dépit de cette grande diversité, un clade représente environ 50 % de tous les virus en circulation dans les deux cohortes. De plus, dans le Nef du VIH-1M des différents clades découverts au Cameroun, des activités fonctionnelles distinctes ont été identifiées, ce qui semble indiquer que ces clades ont divers moyens d’augmenter la transmission du VIH-1.
En outre, la fonction de Nef permettant de favoriser la transmission du VIH-1M était plus importante dans la cohorte de la ville cosmopolite que dans l’autre. Nous pouvons en déduire que le VIH-1M pourrait être plus transmissible en ville que dans les régions éloignées.

Ces données fournissent davantage d’explications sur les raisons pour lesquelles certains clades de VIH ont provoqué des pandémies mondiales contrairement à d’autres. D’après ces données, par exemple, des propriétés biologiques spécifiques des clades ancestraux de VIH-1M ont pu influer sur leur propagation épidémiologique. Ainsi, ces clades étaient donc génétiquement prédisposés à propager avec succès l’épidémie de VIH au Cameroun et peut-être dans d’autres parties du monde.

Par ailleurs, ces données montrent que les virus de VIH-1M des deux cohortes suivent des trajectoires évolutives différentes, peut-être en fonction des réseaux de partenaires sexuels. Ces réseaux sont probablement beaucoup plus vastes dans la ville cosmopolite de Yaoundé, où l’épidémie ne cesse de progresser, que dans les villages reculés. Il est possible que les virus circulant dans les villes fortement peuplées du Cameroun aient été sélectionnés pour accroitre la transmissibilité.

Les perspectives

Il est impossible de mettre au point un vaccin et un traitement sans comprendre les fondements génétiques précis des prédispositions et de l’évolution du virus. Nos recherches contribuent, grâce à l’apport de ces pièces majeures, à compléter ce puzzle complexe. Chaque nouvelle découverte nous rapproche un peu plus de l’élaboration de stratégies préventives ainsi que de notre capacité à prédire l’émergence et la dissémination futures du VIH-1M.


Marcel Tongo Passo, Principal Investigator based at Centre for Research on Emerging and Re-Emerging Diseases (CREMER), Sub-Saharan African Network for TB/HIV Research Excellence (SANTHE)

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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