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Crise libyenne : l’Algérie prend les choses en main

Un sommet diplomatique sur la Libye s’est conclu ce mardi 31 août à Alger, en présence des ministres des Affaires étrangères des pays voisins, de représentants de l’Union africaine, de la Ligue arabe et de l’ONU.

L’Algérie, comme plusieurs pays africains et notamment le Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye, a toujours insisté sur la nécessité de la participation de l’Afrique dans le processus de transition libyen. Après des mois d’efforts de toutes parts, la réunion des pays voisins de la Libye, à Alger, a été l’occasion pour le Tchad, le Soudan, le Niger, l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie de réfléchir ensemble aux efforts diplomatiques à fournir dans le but de stabiliser la Libye voisine. Il a fallu que le sommet de « Berlin II » et le Forum de Genève soient des échecs cuisants pour que les voisins immédiats de la Libye prennent enfin la direction des opérations sur le dossier libyen.

Contrairement aux initiatives onusiennes conduites en Europe, lors desquelles plusieurs diplomaties avaient été écartées, la réunion d’Alger a été plus inclusive. Surtout, la présence de l’envoyé spécial de l’ONU Ján Kubiš, du secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit, ainsi que du ministre congolais des Affaires étrangères Claude Gakosso, représentant le comité de haut niveau de l’Union africaine, a donné toute sa légitimité à ce sommet. En Libye, cela fait désormais longtemps que le processus onusien bat de l’aile. Et alors que les pays occidentaux ne cessent d’allonger la liste de leurs exigences, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a préféré miser sur des propositions « justes, réalistes et rationnelles ». Mais que proposent exactement les voisins et amis de la Libye ?

L’Algérie milite pour la souveraineté de la Libye

Le chef de la diplomatie algérienne a tout d’abord réaffirmé l’importance de la question du retrait des forces étrangères de la Libye. Et dans le point de presse qu’il a tenu avec son homologue libyenne, Najla Mangoush, Ramtane Lamamra insiste sur la recherche d’une solution régionale : « Normalement c’est le comité militaire 5+5 qui a la charge de déterminer les modalités de ce retrait, mais nous avons fait preuve d’intérêt, en tant que pays voisin, pour être associé, d’une manière ou d’une autre, aux travaux de ce comité 5+5, comme d’ailleurs lors du forum politique ».

La Commission militaire mixte inclut directement, en effet, les parties libyennes disposant du soutien des troupes étrangères sur le sol libyen, à savoir le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah et l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar. La déclaration du sommet algérien demande clairement que ce soient les deux puissances rivales libyennes qui dessinent ensemble le plan de retrait des forces étrangères. « Sans contraintes étrangères », insiste Ramtane Lamamra.

Pour les pays voisins de la Libye, la tenue des élections, prévues en décembre prochain mais qui pourraient être compromises par un calendrier étriqué, doit être précédée par le retrait des troupes. Et ce dernier est de « la responsabilité de la communauté internationale », assure Lamamra. Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, veut « explorer la possibilité d’aider les frères libyens afin qu’une feuille de route soit exécutée et que la transition s’effectue dans les délais impartis ».

Le retrait des combattants étrangers, une responsabilité internationale

Les participants au sommet d’Alger s’engagent à ce que le retrait des forces étrangères en Libye s’effectue « de manière transparente, organisée et sous le contrôle de la communauté internationale ». Cependant, pour la suite, Ramtane Lamamra a ouvertement proposé qu’un groupe d’observateurs soit dépêché en Libye. « Il est attendu que la Libye accepte et accueille des observateurs pour les élections », insiste-t-il, avant de réaffirmer la disposition de l’Algérie à « mettre son expertise à la disposition de nos frères libyens lors de la tenue des prochaines élections ».

L’Europe, les Etats-Unis et le Conseil de sécurité de l’ONU menaçaient, lors du sommet de Berlin, de soumettre la Libye, déjà sinistrée par la guerre, à des sanctions si des délais raisonnables n’étaient pas respectés en matière de transition. Or, pour les pays voisins de la Libye, l’enjeu, à terme, est que cette fameuse transition se déroule paisiblement. Actuellement, le Tchad, le Soudan, l’Egypte ou l’Algérie estiment que la priorité est que le processus onusien, dont le fiasco annoncé ne rassure guère, n’aboutisse pas à un autre conflit.

Pour cette raison, le politologue Riadh Sidaoui estime que l’Egypte et l’Algérie pourraient être les principaux acteurs de l’apaisement des tensions entre le GNU et l’ANL. A première vue, les deux pays nord-africains semblent être en phase. « Un compromis est nécessaire, afin de pouvoir mettre en place un plan et un échéancier de retrait de toutes les forces étrangères et des dizaines de milliers de combattants et de mercenaires », soutient le chercheur tunisien.

La solution africaine privilégiée

Les acteurs de la réunion d’Alger ont une vraie carte à jouer : les pays participants ont des intérêts en Libye. Le Tchad, le Niger et le Soudan peuvent solliciter l’accord de l’Europe sur un plan dont le comité militaire 5+5 serait la vitrine. Pour les trois pays, la menace d’un exode désordonné des groupes armés étrangers en Libye est un enjeu sécuritaire de premier plan.

Ensuite, le bon voisinage et l’histoire commune obligent l’Algérie et l’Egypte à être plus actifs dans le dossier libyen. Car, si « Berlin II » et le Forum de Genève ont échoué, c’est surtout à cause de l’inefficacité de l’ONU. La présence de la MANUL est perçue, en Libye, comme une nouvelle ingérence. Et Ján Kubiš, comme Ghassan Salamé avant lui, n’arrive pas à composer avec la diplomatie libyenne.

La Ligue arabe, représentée par l’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit, pourrait quant à lui être l’unique organe diplomatique à pouvoir faire converger les positions des Emirats arabes unis et du Qatar. Quant au président du comité de haut niveau de l’Union africaine, Denis Sassou N’Guesso, il a réussi à rallier plusieurs parties libyennes influentes dans l’espoir qu’une solution africaine soit envisagée pour la Libye. En l’occurrence, la visite du leader ibadite Farhat Jaabiri, suivie de celle du président du Conseil libyen Mohammed el-Menfi, a montré la nouvelle implication de l’UA dans ce dossier.

Si des pourparlers débutent, donc, au sein du comité 5+5, celui-ci bénéficiera sans aucun doute d’un large soutien africain. Cela permettrait également d’effacer les échecs de la communauté occidentale, dont les menaces à l’encontre du régime libyen passent mal. En prenant les rênes du processus diplomatique, l’Algérie montre en tout cas qu’elle veut être un acteur important dans la résolution de la crise libyenne.

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