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Covid-19 : pourquoi une telle hésitation vaccinale ?

L’acceptation du vaccin et l’efficacité de la vaccination en Afrique, et au Sénégal, dépendent de nombreux facteurs. Accès aux vaccins ou perception des risques sont parmi les plus importants.

« L’hésitation vaccinale n’est pas le défi n°1 de l’Afrique. Le vrai problème est plutôt la “famine” de vaccin. De longues files d’attente d’Africains, comme celle sur cette vidéo, dans de nombreux pays de l’Union africaine, attendent d’être vaccinés. »

Dans ce tweet du 8 août 2021, le Dr Nkengasong, directeur de l’Africa CDC (Africa Centres for Disease Control and Prevention), rappelle les priorités : en premier lieu, c’est l’accès au vaccin qui est en Afrique l’enjeu clé du contrôle de la pandémie. Mais l’hésitation, si présente sur les autres continents, y est-elle absente ? Les opinions vis-à-vis du vaccin y auraient-elles radicalement changé ? Dans quel contexte général cette file d’attente doit être située ?

Dans les institutions de santé globale, l’accès au vaccin et l’hésitation vaccinale sont abordés indépendamment l’un de l’autre : l’accessibilité est essentiellement considérée comme étant d’ordre économique et politique, quand l’hésitation est perçue comme d’ordre culturel et communicationnel. Or, sur le terrain où nous développons « par le bas » les enquêtes ethnographiques du projet CORAF/ARIACOV, particulièrement au Sénégal, ces deux questions apparaissent étroitement liées – et dépendantes du contexte.

L’accessibilité du vaccin

Au Sénégal, un des premiers pays africains à avoir lancé la vaccination seul 3,3 % des adultes sont complètement vaccinés (et 3,4 % partiellement). Ce faible taux reflète d’abord les inégalités structurelles dont est victime le continent africain, dénoncées par le Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie qui a mené une évaluation globale pour l’OMS. Malgré l’objectif commun de « ne laisser personne au bord de la route » pour vaincre la pandémie, les pays les plus riches s’approvisionnent les premiers, et le nationalisme domine toujours les relations internationales pour l’accès aux vaccins.

De plus, l’Afrique subit les contraintes liées à la propriété intellectuelle et à la production, ainsi que les limites du dispositif d’approvisionnement équitable COVAX. L’exportation vers l’Europe de vaccins conditionnés en Afrique du Sud, où moins de 10 % de la population est complètement vaccinée, illustre la géopolitique de l’industrie du vaccin. L’absence de production locale a rendu le continent dépendant des fournisseurs tels que le Serum Institute of India – qui a dû rediriger ses livraisons vers la population indienne entre mars et août 2021.

Les pays africains ont donc eu recours à diverses voies pour obtenir des vaccins, selon des calendriers et avec des volumes dont ils n’avaient pas la maîtrise, leurs choix étant limités par les contraintes de coût et de modalités de conservation des produits. Une fois approvisionnés, ils sont confrontés à des difficultés majeures du fait des limites de leurs systèmes de santé rendues critiques par les contraintes d’approvisionnement, à plusieurs niveaux : gestion des vaccins et des données et logistique.

Les vaccins ne pouvant être utilisés que pendant quelques mois pour des raisons d’abord administratives, les stratégies de dispensation doivent être adaptées. Ainsi, des pays ayant reçu des stocks importants ont dû ouvrir rapidement la vaccination au-delà des groupes prioritaires initialement considérés (professionnels de santé, personnes âgées ou atteintes de comorbidité) sans pouvoir la « refermer » sur ces groupes une fois le stock écoulé.

En Afrique francophone, plusieurs pays ont commencé à vacciner grâce à des dons et achats de vaccins de Chine et de Russie, puis les premiers approvisionnements par COVAX ont été suivis de dons bilatéraux de la part des pays riches (USA, France…), actuellement complétés par l’Initiative AVATT (African Union’s Covid-19 Vaccine Acquisition Task Team, associant Africa CDC, Banque Mondiale et AfreximBank).

La diversité des sources et des modes d’approvisionnement s’est doublée d’une diversification des vaccins aux caractéristiques, performances, indications et schémas de dispensation différents. Au Sénégal par exemple, un total de 1 467 200 doses des vaccins Sinopharm, AstraZeneca et Johnson & Johnson avait été fourni au 5 août 2021 lors de neuf livraisons de cinq fournisseurs non coordonnées, aux volumes compris entre 25 000 et 324 000 doses. Les périodes de rupture de stock induites par l’irrégularité des livraisons ont retardé sur des sites une partie des secondes injections (voir le graphe « Daily Covid-19 vaccine doses administered »). Inquiétées par la vague épidémique observée en juillet, des personnes ne pouvant accéder à la seconde dose de leur vaccin initial ont eu recours à des schémas non validés en combinant des vaccins différents.

Ainsi, le manque d’accès aux vaccins ne se traduit pas seulement par des files d’attente (qui révèlent qu’un service de santé dispose de vaccins) mais par des approvisionnements non planifiables et des protections immunitaires individuelles absentes, partielles ou incertaines.

L’acceptabilité des vaccins et de la vaccination

L’acceptabilité du vaccin est souvent abordée sous l’angle de l’hésitation vaccinale, une notion appliquée à des formes diverses de refus ou de report de la vaccination. L’OMS l’associe à l’infodémie et la mésinformation portée par les rumeurs et les fake news, souvent produites par des tendances anti-vaccins ou des groupes conspirationnistes.

Nos premières enquêtes sur le sujet, menées en octobre 2020, avaient montré des réticences vis-à-vis d’un futur vaccin et les logiques sous-jacentes. Lorsque les vaccins sont devenus disponibles mi-février 2021 au Sénégal, les attitudes ont basculé, comme l’ont montré les dashboards de suivi hebdomadaire de l’acceptation. Ces enquêtes sont menées auprès de groupes peu représentatifs de l’ensemble de la population, mais elles décrivent significativement des évolutions. L’augmentation du taux d’acceptabilité passée de 35 à 75 % traduit une adhésion pragmatique, influencée par la diffusion de messages officiels en faveur du vaccin et par la médiatisation de la vaccination de personnalités publiques.

Mais en mars, la médiatisation intensive des effets indésirables du vaccin AstraZeneca sur les chaînes internationales d’information continue fait chuter ce taux. L’adhésion va ensuite fluctuer pour des raisons diverses, sur fond d’informations qui dénigrent tous les vaccins anti-covid. Certaines personnes refusent l’AstraZeneca, perçu comme trop risqué, et attendent que le vaccin Sinopharm soit de nouveau disponible ; d’autres devant recevoir leur seconde dose sont confrontées à la rupture de stock en AstraZeneca ; d’autres enfin refusent une première dose de Sinopharm dans l’attente d’un troisième vaccin annoncé.

En juillet, une troisième vague épidémique installée en l’espace de deux semaines va provoquer une forte augmentation de la demande. Les centres de santé n’ont alors pas assez de doses et les files d’attente débutant tôt le matin s’allongent. Cette demande, en l’absence de campagne de vaccination organisée ou de communication intensive, parait motivée par la prise de conscience du risque infectieux et par l’expérience collective de la maladie : atteinte des proches, augmentation du nombre de décès de personnalités ou d’anonymes après de « courtes maladies », médias relatant les difficultés croissantes d’accès à l’oxygénothérapie pour les cas graves, plaintes récurrentes de professionnels de santé débordés par les patients Covid et crainte du variant Delta.

Les autorités sanitaires gèrent la situation par l’annonce d’arrivages prochains de vaccins, ce qui permet de tempérer une demande dépassant largement les capacités journalières de vaccination.

Le rapport entre accès et acceptation

L’évolution en quatre phases de l’acceptabilité de la vaccination observée au Sénégal apparaît très liée à l’accessibilité des vaccins.

Dans une première phase, les vaccins inaccessibles suscitent la méfiance et le doute en contexte d’infodémie, ainsi que des prises de position ambivalentes et changeantes, ce qui correspond à la définition initiale de « l’hésitation vaccinale ».

La seconde phase, lorsque le vaccin est mis à disposition, matérialisé et socialisé par la vaccination, provoque un engouement même parmi des personnes auparavant réticentes : les termes acceptation ou demande, moins négatifs qu’hésitation, semblent plus appropriés pour qualifier les attitudes.

La demande est inégale lors de la troisième phase, quand les vaccins initiaux ne sont plus disponibles partout et que d’autres vaccins arrivent : les perceptions et attitudes deviennent plus spécifiques de chaque vaccin, alors que des informations contradictoires circulent sur certains. Les représentations intègrent non seulement les qualités du produit, mais aussi les modalités d’approvisionnement. Nos entretiens rapportent que le vaccin AstraZeneca, par exemple, est perçu par des Sénégalais comme élaboré pour les Européens (du fait que ce dernier est recommandé aux plus de 55 ans en France, alors que la population africaine est plus jeune), et donné à l’Afrique parce que les Européens n’en veulent plus à cause de ses effets indésirables.

D’autre part, des personnes retardent leur venue dans un site de vaccination afin d’obtenir un vaccin spécifique qu’elles savent alors en rupture de stock. La demande apparaît comme un compromis entre opportunités (disponibilité, modalités d’accès) et perceptions des vaccins (choisis de manière à éviter des effets négatifs).

L’engouement de la quatrième phase déborde les capacités du programme de vaccination. La demande n’a pourtant pas été soutenue par une campagne de communication, une stratégie communautaire ou des mesures dans les entreprises, mais elle est devenue massive du fait de la prise de conscience du risque. La quête de vaccin s’est individualisée : chacun cherche à compléter son statut vaccinal en naviguant selon les opportunités d’accès, ce qui le conduit parfois loin des schémas recommandés par l’OMS.

De l’hésitation à la demande

Au final, les observations réalisées au Sénégal montrent que les opinions, attitudes et comportements face au vaccin et à la vaccination sont évolutifs, sensibles au contexte. Outre les problèmes théoriques que pose la notion d’hésitation vaccinale, amplifiés par les confusions entre définitions de sens commun et scientifique, cette notion semble trop réductrice, notamment du fait de sa connotation négative.

Des attitudes positives envers le vaccin peuvent émerger jusqu’à dépasser les capacités des systèmes de soin, comme cela a été le cas au Sénégal en juillet. Dans ce pays, l’hésitation a dominé lorsque le vaccin n’était encore qu’un objet idéel soumis à l’influence des médias, mais les expériences ont favorisé son acceptation, devenue demande dans le contexte alarmant de la nouvelle vague épidémique.

L’acceptabilité de la vaccination est devenue indissociable de celle du (des) vaccin(s) lorsque plusieurs d’entre eux ont été disponibles, selon des modalités inégales. Les populations qui « font la queue » pour se vacciner n’ont pas abandonné toute méfiance et pourraient de nouveau déserter les sites de vaccination, ou développer des stratégies individualisées, selon l’évolution du contexte épidémique, de l’approvisionnement, du dispositif et des stratégies de vaccination et de communication.

L’enjeu de l’accès au vaccin en Afrique n’efface pas celui de l’hésitation ou la demande. Un accès limité, contraint, partiel et imprévisible, fragilise aussi l’acceptation du vaccin et l’efficacité de la vaccination.


Alice Desclaux, Anthropologue de la santé, TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Khoudia Sow, Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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