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Coups d’Etat en Afrique : comment les expliquer ?

Coup d'Etat Afrique

L’armée du Burkina Faso a confirmé, le mois dernier, avoir pris le pouvoir et mis fin au mandat du président Roch Kaboré. Qu’attendre de cette nouvelle transition menée par les militaires ?  Et doit-on s’attendre à un effet domino ?

La junte militaire du Burkina Faso — baptisée Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) — a finalement effectué sa déclaration pour le moins attendue sur la télévision nationale le 24 janvier dernier.

Sur la vidéo, diffusée depuis sur les réseaux sociaux, un capitaine de l’aviation militaire, Sidsoré Kader Ouédraogo, affirme que « le Burkina Faso respectera ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale » et annonce « une période de transition dont les échéances seront annoncées dans des délais raisonnables ». Un message envoyé à la Cedeao, qui devrait une nouvelle fois se réunir pour statuer sur la situation au Burkina Faso.

A droite du jeune capitaine, le nouveau président de la transition, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, semblait déjà avoir la tête ailleurs. Il faut dire que la mission du MPSR n’est pas simple. Contrairement aux juntes malienne ou guinéenne, les militaires burkinabés auront fort à faire pour convaincre la Cedeao, l’Union africaine ou encore les pays occidentaux de la légitimité de leurs revendications, d’autant que Kaboré a été réélu il y a quatorze mois à peine.

Mais à y regarder de plus près, les revendications des militaires sont bien légitimes. Parmi celles-ci, assurer la sécurité des Burkinabés, la raison officielle de ce nouveau coup d’Etat dans la région ouest-africaine.

Coups d’Etat en Afrique : quels points communs ?

En un peu plus d’un an, l’Afrique a connu quatre coups d’Etat réussis — deux au Mali, un en Guinée et un au Soudan. S’y ajoutent une tentative de coup d’Etat infructueuse au Niger et un transfert arbitraire du pouvoir au Tchad suite à l’assassinat de son président Idriss Déby.

Mamady Doumbouya (Guinée), Mahamat Déby (Tchad) et Assimi Goïta (Mali)

Pour les trois pays ouest-africains voisins, désormais sous la coupe de leurs armées respectives, les raisons des coups d’Etat varient. Le dernier putsch malien est né d’une quête d’autodétermination de la jeunesse du pays, qui considère les forces françaises omniprésentes comme une armée d’occupation. La situation socio-économique, provoquée par la gouvernance très critiquable d’Ibrahim Boubacar Keïta a catalysé l’envie de changement auprès des populations. Puis, et surtout, l’insécurité due à l’hégémonie des groupes terroristes AQMI et EIGS dans une grande partie du pays et l’inefficacité des Français à en découdre militairement duraient depuis trop d’années.

Pour la Guinée, c’est surtout le règne autocratique de l’ancien président Alpha Condé qui ne pouvait plus durer, notamment après un référendum constitutionnel très contesté. Dans ces conditions, le premier interlocuteur des juntes ouest-africaines, la Cedeao, n’avait aucune crédibilité pour imposer ses conditions. En effet, l’instance économique et politique n’était déjà plus, selon les mots du président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embaló, qu’un « syndicat des chefs d’Etat ».

Des chefs d’Etat, à l’instar de Faure Gnassingbé au Togo ou encore d’Alassane Ouattara en Côte d’ivoire, qui poursuivent leurs mandats inconstitutionnels, en plus d’installer la corruption et la brutalité comme normes de gouvernance.

L’échec sécuritaire de Roch Kaboré

Au Burkina Faso, pourtant, l’aspect institutionnel de la prise de pouvoir ne pouvait pas raisonnablement être critiqué. Le président Roch Kaboré en était à la seconde année de son deuxième mandat, élu selon des critères démocratiques. Mais c’est surtout la faiblesse de sa politique sécuritaire qui est critiquée. On décompte un peu plus de 900 morts civils et 200 morts parmi les forces de l’ordre, en 2021, au Burkina Faso.

Le pays était devenu le douzième pays dans le monde menacé par le terrorisme selon le Global Terrorism Index (GTI 2021), et le quatrième en Afrique après le Nigéria, la RDC et le Mali. Et il faut dire que dépasser le Cameroun, la Libye et la RCA dans ce domaine relève de la catastrophe, surtout que Ouagadougou est un des contributeurs africains les plus actifs au sein des Casques bleus, après le Sénégal.

Un critère qui montre aussi un certain « suivisme » diplomatique, inhérent aux anciennes colonies françaises. Entre 2016 et 2020, Roch Marc Christian Kaboré a montré une bonne prédisposition à oublier les vraies causes du terrorisme dans le pays : l’absence de l’Etat dans les régions menacées et la pauvreté qui pousse les civils, parfois, à collaborer avec les terroristes.

Et ce n’est pas la stratégie « Houné » qui a changé la donne. Les premières phases de cette opération antiterroriste, consistant en l’établissement d’un réseau d’informateurs contre des aides humanitaires, se sont montrées insuffisantes pour pouvoir freiner la menace terroriste dans l’est et le nord du Burkina Faso.

Cela est dû, notamment, à l’obstacle que posent les frontières des pays du Sahel dans la confrontation du crime transfrontalier à titre général. Si les Etats ont une portée limitée, la faible présence militaire le long des frontières, héritées de la colonisation française, délimite les mouvements des groupes terroristes.

Une diplomatie chimérique

Tout cela n’exempt pas, toutefois, le président burkinabé déchu de toute responsabilité. On l’a découvert lors des derniers mois, l’armée du Burkina Faso était mal informée, notamment lorsqu’il s’agissait des attentats terroristes à l’intérieur du pays. Quant aux groupes d’autodéfense établis par le gouvernement, ils étaient — et la junte le précise bien — désarmés et laissés à leur propre sort.

Donc pour les habitants du centre du Burkina Faso, dont ceux de la capitale Ouagadougou, la perspective de la menace terroriste est celle d’un Etat qui a abandonné progressivement les civils des régions frontalières avec le Mali et le Niger.

Aussi, à mesure que Kaboré se retrouvait abandonné par les pays voisins dans cette guerre, il s’appuyait de plus en plus sur la France. Et cette dernière, outre les envois successifs de ses ministres pour « exprimer leur solidarité » avec le Burkina Faso, n’a pas investi beaucoup d’efforts dans le soutien de son « pays frère ».

Pire encore, sous la pression des instances financières mondiales, telles que la Banque mondiale et le FMI, Kaboré avait, début 2021, fait chuter le budget militaire de 18 %. Et pour couronner le tout, la diplomatie burkinabée, relativement souveraine, n’a assumé qu’un rôle de figurante dans les décisions de la Cedeao, notamment lorsqu’il s’agit du traitement réservé aux pays où les coups d’Etat ont eu lieu.

Lire : Mali : ce qu’impliquent vraiment les sanctions de la Cedeao

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