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Côte d’Ivoire : derrière les sourires de façade, Gbagbo met la pression à Ouattara

Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, 27 juillet 2021

Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, 27 juillet 2021

Reçu hier par le président ivoirien Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo a demandé la libération des prisonniers de la crise post-électorale de 2011.

La scène était, il y a encore quelques mois, inimaginable : sur quelques clichés sortis hier soir, on voit Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara s’embrasser et marcher main dans la main. Les deux hommes arborent un large sourire. L’ancien président a répondu présent à l’invitation de celui qui fut à l’origine de son passage, pendant une dizaine d’années, dans les prétoires de la Cour pénale internationale (CPI), l’actuel président ivoirien Ouattara. Ce dernier jouait à domicile : c’est au palais présidentiel d’Abidjan que les deux hommes se sont entretenus en privé. Ils se sont ensuite adressés à la presse.

L’ambiance était détendue. « Nous sommes des amis depuis des décennies, ce qui ne nous rajeunit pas », s’est félicité Ouattara à trois reprises. Gbagbo a acquiescé : « Le président Ouattara et moi nous connaissons depuis longtemps. On a parlé fraternellement, amicalement. Et je suis très heureux de cette discussion que nous avons eue, elle était très détendue, et je suis fier de cela ». La réconciliation était attendue par de nombreux Ivoiriens et les deux ex-rivaux ont joué le jeu : « Je souhaite que, de temps en temps, on puisse avoir ce genre d’entretien, qui détend l’atmosphère dans le pays », a poursuivi Gbagbo.

Il n’a fallu toutefois que quelques secondes pour entrer dans le vif du sujet. Les amabilités passées, Laurent Gbagbo a pris un ton plus grave pour dire quelles avaient été ses revendications : « J’ai surtout insisté sur (la libération) des prisonniers, arrêtés au moment de la crise 2010-2011, et qui sont encore en prison ». Et l’ancien président de la Côte d’Ivoire d’ajouter : « J’étais leur chef de file, je suis dehors aujourd’hui, et ils sont encore en prison. J’aimerais que le président fasse tout ce qu’il peut pour les libérer. Le président a les moyens ». Une demande qui a provoqué la fin d’une certaine hilarité.

Bientôt une rencontre Gbagbo-Ouattara-Bédié ?

Car au moment du discours de son prédécesseur, Alassane Ouattara a eu l’air gêné. C’était la première fois depuis 2010 — ils avaient alors participé à un débat le 25 novembre lors de la présidentielle — que les deux hommes se rencontraient, et Alassane Ouattara espéraient sans aucun doute que ce rendez-vous ne devienne pas politique. Mais Laurent Gbagbo n’a pu se contenter de sourires de façade. Alors que plusieurs de ses partisans sont toujours derrière les barreaux, l’ancien chef de l’Etat a fait de leur libération une priorité. Une demande difficile pour Alassane Ouattara, qui a la rancœur facile : alors que l’ancien Premier ministre Guillaume Soro a été condamné à perpétuité par contumace, le président avait hésité à libérer certains cadres du PDCI-RDA bien qu’il avait renoué le dialogue avec Henri Konan Bédié.

La libération des prisonniers politiques est un sujet qui fâche, dans les couloirs du palais. Mais Laurent Gbagbo ne s’est pas laissé démonter et a voulu, dès son premier rendez-vous avec le président, mettre les pieds dans le plat. C’est aussi, pour Laurent Gbagbo, une façon de se positionner face à Alassane Ouattara : l’ancien président accepte volontiers le rôle de « vieux sage », comme lui a demandé Ouattara, mais cela ne sera pas inconditionnel. Les deux hommes devraient se revoir en août, et la demande de Gbagbo ressemble à un ultimatum pour la poursuite des discussions. Sans accepter la demande, Alassane Ouattara a entrouvert la porte : « Laurent est mon jeune frère et mon ami. La crise, et les divergences, sont maintenant derrière nous. Ce qui importe est la paix en Côte d’Ivoire », a-t-il simplement répondu.

Quoi qu’il en soit, la rencontre devrait donner lieu à une série de rendez-vous constructifs, consacrés au dialogue et à la paix, au-delà du RHDP et du FPI. « Nous nous sommes convenus de nous voir de temps en temps, et d’associer, le moment venu, d’autres personnes à nos entretiens », a promis Alassane Ouattara. Une allusion à une possible invitation en direction d’un autre ancien président, Henri Konan Bédié. Le « Sphinx de Daoukro » avait rencontré Gbagbo le 10 juillet dernier et les deux hommes ont confirmé leur alliance politique renouvelée. Mais au-delà des enjeux électoraux, « il est important de rétablir la confiance », insiste Ouattara.

Pas de réponses politiques pour Ouattara

Les retrouvailles entre Gbagbo et Ouattara ont aussi été l’occasion d’un mea culpa de la part du président ivoirien. Alassane Ouattara a publiquement dit ses condoléances à son prédécesseur, sept ans après le décès de la mère de Laurent Gbagbo. Marguerite Gado était décédée en 2014, trois jours après son retour d’un exil au Ghana. Gbagbo était alors dans les geôles de la CPI, il n’avait pas été autorisé à assister aux obsèques. Un contraste que Ouattara met lui-même en relief, s’excusant à demi-mots : « Quand j’avais perdu ma mère alors que j’étais en exil, Laurent Gbagbo a facilité mon retour. C’est une chose que je ne peux pas oublier », a rappelé le président.

Derrière la bonne entente apparente, Alassane Ouattara tente malgré tout de rester maître de la situation. Laurent Gbagbo est toujours sous le joug d’une condamnation de la justice ivoirienne à 20 ans de prison pour l’affaire du « braquage de la BCEAO ». Il n’a, pour le moment, pas été question d’une grâce présidentielle dans ce dossier. L’ancien président, pour sa part, jouit d’une popularité hors du commun. Il est donc un atout de taille pour Ouattara. Si le chef de l’Etat ivoirien peine à prendre des mesures populaires, il sait qu’une entente cordiale avec Laurent Gbagbo — et HKB dans une moindre mesure — lui permettra de gagner du temps. Il sait aussi qu’une alliance Gbagbo-Bédié peut être redoutable. Nul doute que la rencontre prévue en août sera nettement plus politique. Ouattara cherchera alors à en savoir plus sur les intentions d’un Laurent Gbagbo qui effraie le pouvoir.

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