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Commerce en Afrique : pourquoi il faut valoriser les récits positifs

Un rapport d’Africa No Filter révèle l’ampleur de la question de la couverture médiatique stéréotypée sur le commerce en Afrique. Il faut valoriser les récits positifs qui ne sont pas mis en avant, écrit Moky Makura, directrice exécutive de l’ONG.

Vous vous souvenez peut-être de l’histoire de ces deux vendeurs de chaussures qui se sont rendus en Afrique au début du XXe siècle pour trouver de nouveaux marchés… Quelques jours après leur arrivée, le premier vendeur a décidé qu’il n’y avait aucun potentiel pour la vente de chaussures, car tout le monde était pieds nus. Cependant, son partenaire a conclu que, puisque personne ne semblait porter de chaussures, il y avait un énorme marché inexploité à conquérir.

Cette histoire me rappelle à quel point le monde continue à sous-estimer l’Afrique et à opter pour le point de vue « pas de besoin de chaussures ici, merci ». Cette situation est due, dans une certaine mesure, à la façon dont les affaires en Afrique sont présentées par les médias.

Nous avons récemment publié un rapport analysant les histoires, les mots-clés et les représentations des médias locaux et internationaux. Cela a mis en évidence que ce que les médias nous transmettent ne reflète pas exactement la réalité des affaires sur le terrain.

Les jeunes Africains se considèrent comme des personnes autonomes

Par exemple, l’Afrique a la population la plus jeune du monde – 70% des Africains subsahariens ont moins de 30 ans, et pourtant leurs histoires ne sont pas représentées dans les médias. Selon une enquête sur la jeunesse menée en 2020 par la Fondation de la famille Ichikowitz, les jeunes Africains se considèrent comme des personnes autonomes. Les trois quarts d’entre eux prévoient de créer leur propre entreprise dans les cinq prochaines années, et si on leur donnait 100 dollars, 50 % investiraient dans leur propre entreprise. Deux personnes sur trois ont déclaré avoir déjà une idée de création d’entreprises. Pourtant, la couverture médiatique ne reflète guère cette activité et cet optimisme.

Les données de Google Trends le confirment : nous avons examiné ce que les gens recherchaient en Afrique et avons mis en évidence la dimension de l’esprit d’entreprise sur le continent. Nous avons constaté que l’Afrique compte huit des dix premiers pays au monde dont les populations effectuaient des recherches sur le thème des affaires et six des dix premiers pays dont les populations effectuaient des recherches sur l’entrepreneuriat en 2021. Les données montrent une histoire différente qui va à l’encontre du discours selon lequel les jeunes Africains sont passifs, manquent d’autonomie et attendent que leurs gouvernements leur fournissent des emplois ou que les organisations de développement les sauvent.

Les Africaines, absentes des histoires relatives aux affaires

Il n’y a pas que les jeunes qui sont absents des histoires relatives aux affaires. C’est aussi le cas des Africaines. Le discours sur le rôle mineur des femmes africaines dans une Afrique patriarcale doit être revu. Le continent occupe la première place mondiale en termes de femmes-chefs d’entreprise, et celles-ci représentent 58 % de la population indépendante du continent. L’indice MasterCard 2020 des femmes-chefs d’entreprise a classé l’Ouganda, le Botswana et le Ghana comme les trois principales économies du monde comptant le plus de femmes-chefs d’entreprise. Pourtant, leurs voix, comme celles des jeunes, ne sont pas assez représentées dans la couverture médiatique relative aux affaires.

L’Afrique a reçu de nombreuses distinctions qui commencent par les mots « croissance la plus rapide », ce qui signifie souvent des changements rapides à un rythme soutenu. Mais beaucoup de ces tendances ne sont pas reprises et décortiquées par les médias. L’agriculture et le tourisme en sont de bons exemples. L’Afrique a le secteur agricole qui a connu la croissance la plus rapide de tous les continents en 2019 et le deuxième marché du tourisme qui a connu la croissance la plus rapide au monde. Il est évident que l’augmentation du tourisme et la stabilité alimentaire créent un environnement propice aux affaires et aux investissements. Pourtant, lorsque nous examinons la couverture des affaires sur le continent, nous constatons que peu ou pas de tentatives sont faites pour décortiquer ces données et mettre en évidence les opportunités existantes.

Le constat est le même lorsque l’on examine la couverture des secteurs de la technologie et de l’innovation sur le continent, qui, bien que faisant l’objet d’une large couverture, est souvent focalisée sur les investisseurs internationaux en capital-risque et les investissements étrangers, sans accorder beaucoup d’attention aux individus locaux qui se trouvent derrière l’écosystème des start-ups technologiques en Afrique.

Ces entreprises africaines qui n’attirent pas l’attention des médias

Les informations sur les activités des entreprises locales disparaissent derrière les histoires des marques internationales qui s’installent ou se développent en Afrique. Lorsque Twitter a ouvert son premier bureau sur le continent au Ghana, cela a fait la une des journaux alors que des centaines de jeunes pousses du secteur des technologies de l’information dans l’écosystème technologique florissant du Ghana continuent d’être ignorées.

En fait, il y a plus de 400 entreprises africaines qui réalisent un chiffre d’affaires annuel d’un milliard de dollars ou plus et qui n’attirent pas suffisamment l’attention des médias parce qu’il y a toujours cette obsession des marques internationales qui font des affaires en Afrique au détriment des entreprises africaines. Il n’est guère surprenant, et non sans ironie, que les marques les plus admirées en Afrique soient Nike, Adidas, Samsung ou encore Coca-Cola. Les marques étrangères dominent le classement.

Les entreprises européennes représentent près de la moitié des entrées, suivies par les entreprises nord-américaines (30 %), les entreprises asiatiques (16 %), tandis que les entreprises africaines ne représentent malheureusement que 13 %.

Nous assistons également à un scénario similaire en ce qui concerne le commerce africain. Le commerce sur le continent a augmenté de 300 % au cours de la dernière décennie, et la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), qui est la plus grande zone de libre-échange au monde, représente sans aucun doute l’une des initiatives commerciales les plus importantes du continent. Malgré cela, c’est l’un des secrets les plus sombres du continent, à en juger par le manque d’intérêt des médias. Les articles liés à la ZLECAF représentent moins de 1 % des actualités et analyses commerciales sur les affaires en Afrique publiées dans les médias internationaux et africains. Qui va dévoiler les opportunités offertes aux entrepreneurs, aux hommes d’affaires et aux commerçants si ce ne sont les médias ?

En fin de compte, il manque beaucoup de choses dans la couverture des affaires en Afrique : la voix des jeunes, des femmes, des entrepreneurs, des entreprises créatives et des petits pays africains qui réussissent. L’accent est mis sur les marques internationales, les acteurs étrangers, les gouvernements et les grandes économies comme le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Les affaires et les investissements sont essentiels au développement inclusif et durable du continent, et les médias jouent un rôle crucial pour mettre en lumière ce qui existe. Il est temps de faire connaître les possibilités offertes par le continent, car nous ne voulons pas être ceux qui regrettent de ne pas avoir investi dans les chaussures.


Moky Makura est la Directrice exécutive de Africa No Filter, qui est une initiative de collaboration entre donateurs s’efforçant de faire évoluer les stéréotypes et les récits nuisibles à propos de l’Afrique et au sein de celle-ci. À cet effet, ANF mène des activités de recherche, de sensibilisation, de développement communautaire et d’octroi de subventions aux storytellers et aux plateformes médiatiques.

Vous pouvez la suivre sur Twitter @mokymakura.

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