Site icon Le Journal de l'Afrique

Burkina Faso : la France, grandeur et décadence

Burkina Faso Barkhane

A Kaya, au nord de Ouagadougou, les manifestants qui sont sur les routes depuis mercredi dernier ont définitivement empêché un convoi des forces françaises de Barkhane, en provenance de la Côte d’Ivoire, de traverser le Burkina Faso en direction du Niger et du Mali.

« La France n’est plus la bienvenue » au Burkina Faso. L’image de Paris est de plus en plus écornée en Afrique. Pendant plusieurs jours, dans le pays d’Afrique de l’Ouest, des manifestants ont tenté de bloquer un convoi de militaires faisant partie de l’opération Barkhane. Composé de 90 camions et de plus d’une centaine de soldats, le convoi de ravitaillement de Barkhane était parti, mardi dernier, de Côte d’Ivoire, pour rallier Niamey au Niger et se rendre ensuite Gao au Mali. Arrivés dans la capitale du Burkina Faso dans la journée du mercredi, les soldats français ont été bloqués par des centaines de manifestants réclamant le départ des troupes françaises du Sahel.

Suite à la première intervention, jeudi, de l’armée burkinabé — qui a dispersé la foule au gaz lacrymogène — et des militaires français qui ont effectué des tirs de sommation, le convoi a fini par avancer. Mais les blessures par balles, dont l’origine reste inconnue, subies par des manifestants, ont fait dégénérer la situation. Ainsi, à l’arrivée du convoi à Kaya, vendredi, une foule encore plus nombreuse, composée notamment du maire de la ville Boukaré Ouédraogo, a tenté de barrer le chemin aux soldats français.

Les manifestants sont, en majorité, des jeunes Burkinabés venus de tout le pays. Et face à l’impasse des négociations entre les autorités locales et Ouagadougou, les soldats français, en désespoir de cause, ont finalement rebroussé chemin, et se trouveraient à Kombissiri, dans la banlieue de la capitale.

« La France n’est plus la bienvenue »

Du côté des autorités militaires françaises, on pointe « la désinformation ». L’état-major français assure que le convoi en direction de Niamey n’était « pas un convoi pour transporter des armes aux djihadistes, comme on peut le lire sur des réseaux sociaux ». Mais les manifestants pensent-ils réellement qu’il s’agit de cela ?

En effet, sur les réseaux sociaux, rien de tel n’est avancé par les organisateurs des manifestations. Le porte-parole de la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso (COPA-BF), Roland Bayala, indique avoir « décidé de faire barrage, parce que malgré les accords signés avec la France, nous continuons à enregistrer des morts et nos pays demeurent sous-armés ». Ce ne serait donc pas la désinformation qui pose problème, mais les résidus de la « Françafrique ».

Et dans un pays qu’elle pensait sien, la France est désormais bien mal embarquée. Car l’Etat brukinabé a d’autres choses à penser : deux jours après l’attaque terroriste dans le nord du pays, qui a fait 53 morts dont 49 gendarmes, des manifestants à Ouagadougou ont exigé la démission du président Roch Marc Christian Kaboré, accusé d’échouer « à mettre fin aux attaques terroristes ». Ce dernier aura donc bien du mal à venir en aide à ses alliés français.

Avec les forces armées qui tente, tant bien que mal, de régler la situation du convoi français, et face à l’exaspération des populations, qui rappelle étrangement le contexte au Mali voisin, l’Etat est entre le marteau et l’enclume. Le timing choisi par Barkhane de faire une autre incursion sur le territoire burkinabé est mal choisi, avec le pays en deuil. Une situation dont la France est responsable en partie.

La France, bouc-émissaire ? Pas vraiment

Malgré le manque de communication entourant les évènements récents au Burkina Faso, l’armée française au Sahel porte une lourde responsabilité. Outre l’inefficacité de son intervention, que déplorent les manifestants, c’est aussi le manque de respect envers le deuil des Burkinabés victimes d’attentats terroristes meurtriers qui dérange.

Il faut rappeler qu’après l’attentat de Solhan, le plus meurtrier dans l’histoire du Burkina Faso, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était déjà au chevet de Roch Marc Christian Kaboré pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Le diplomate français, sans aucune finesse, a cherché à capitaliser sur l’attentat qui a choqué le pays entier, appelant le Burkina Faso à suspendre les négociations avec les terroristes et à créer la division entre le président Kaboré et son ministre de la Réconciliation et ancien rival à la présidentielle, Zéphirin Diabré.

Mais les racines du sentiment anti-français au Burkina Faso remontent à plus loin. Faut-il rappeler le rôle français dans l’assassinat du héros Thomas Sankara ? Le seigneuriage monétaire de la France avec le franc CFA ? Ou encore l’organisation, par Emmanuel Macron, d’un sommet Afrique-France qui fut une simple opération de réhabilitation de Paris auprès de populations africaines triées sur le volet ?

Quoi qu’il en soit, si « la France s’est positionnée comme bouc-émissaire » au Burkina Faso, comme le rappelle le chercheur François Giovalucchi, ce n’est pas pour rien. Le cas burkinabé fait état des évènements au Mali, où tout ce qui est français est ostracisé. Et l’interminable guerre « contre le terrorisme », lancée en 2012 par la France, dont les civils du Sahel ne font que souffrir des conséquences, provoque des centaines de morts et de réfugiés.

Quitter la version mobile