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Au Sénégal, l’importance des taxis clandestins

L’extension urbaine en Afrique subsaharienne s’accompagne d’un besoin croissant de déplacements quotidiens.

Les grandes villes d’Afrique se développent à un rythme rapide. À Dakar, la capitale du Sénégal, par exemple, la population a presque doublé en 20 ans, pour atteindre 4 millions d’habitants aujourd’hui.

Mais dans la plupart des métropoles, comme Dakar, les politiques d’aménagement peinent à suivre le rythme de la croissance urbaine. C’est également le cas du système de transport. Les transports publics jouent un rôle fondamental dans l’accès à la ville. Or, dans de nombreuses villes, ils sont défaillants, notamment dans les périphéries. Cela dégrade la qualité de vie de leurs résidents, qui habitent des quartiers où les emplois et les équipements de toute nature font défaut.

La satisfaction des besoins essentiels – tels que l’emploi, les interactions sociales, les soins de santé, l’éducation et l’alimentation – dépend de la mobilité. Dans un contexte où les revenus sont faibles et où les services et les équipements publics sont rares, se déplacer au quotidien est à la fois indispensable et difficile.

A Dakar, les autorités cherchent à mieux organiser le système de transport pour répondre à la demande croissante de déplacements. Deux lignes de transport à haute capacité – le Train Express Régional (TER) et le Bus Rapid Transit (BRT) – sont construites ou en cours de construction. Malgré cela, les transports publics restent insuffisants. Diverses formes de transport informel comblent ce manque, représentant une part importante des déplacements motorisés. Parmi eux, les taxis collectifs, communément appelés “taxis clandestins” ou “clandos”. Mais ils sont illégaux car ils opèrent sans licence.

Les clandos sont généralement de vieux véhicules, sans signe distinctif sur la carrosserie, qui transportent quatre à six passagers. De nombreux clandos opèrent dans la région de Dakar. Il n’existe pas de chiffre officiel, car les clandos ne sont pas enregistrés. Cependant, d’après nos investigations, ils sont nettement plus de 5 000 à circuler quotidiennement. Les gens les connaissent car ils suivent des itinéraires fixes, quittant les “garages”, ou lieux de prise en charge, lorsqu’ils sont pleins. La plupart du temps, les garages sont bien situés, près des routes principales ou des bâtiments importants. Les clandos desservent également les zones reculées. Ils sont plus chers que les bus mais offrent une meilleure qualité de service.

Les recherches que nous avons menées sur les déplacements quotidiens à Dakar mettent en évidence le rôle essentiel que jouent les clandos, notamment en périphérie. Même si les bus les considèrent comme des concurrents, dans la plupart des situations, les clandos leur sont complémentaires et gagneraient à être mieux intégrés aux stratégies d’aménagement et de mobilité des périphéries.

Comment se déplacer dans les périphéries dakaroises ?

L’enquête ménages mobilité de 2015 à Dakar et les enquête que nous avons réalisées en 2021 et 2022 montrent que les populations des périphéries dakaroises sont plus pauvres que le reste de l’agglomération, ont un accès limité aux transports publics et se déplacent principalement à pied. Lorsqu’elles recourent à des modes de transport motorisés, une part importante de leurs déplacements est effectuée en clandos.

Les habitants de la région de Dakar utilisent généralement les clandos pour deux types de déplacements :

Les clandos sont appréciés pour leur rapidité et leur confort. Nos enquêtes montrent également qu’ils ont un coût pour les ménages. Cela explique pourquoi l’utilisation des clandos demeure épisodique, limitée à certains types de déplacements, comme les visites à la famille, l’accès au dispensaire ou le retour du marché.

Planification urbaine et clandos

La puissance publique centre ses efforts actuels sur l’organisation des transports publics autour du transport de masse. Elle considère que les modes informels, comme les clandos, sont voués à disparaître sous prétexte qu’ils entrent en concurrence avec les transports de masse, servant au mieux de mode de rabattement.

Pourtant, le double rôle des clandos comme mode complémentaire, à la fois en rabattement vers les arrêts de transport public et, plus important encore, pour les déplacements internes aux périphéries, compense largement leur contribution négative à la concurrence modale et à la congestion.

Les reconnaître permettrait de mieux tirer parti de leurs atouts et de leur laisser pleinement jouer leur rôle de support à la mobilité et à la vie quotidiennes des périphéries. En pratique, une telle reconnaissance par les autorités pourrait se traduire par une amélioration des conditions d’exploitation, une meilleure répartition des garages dans l’espace public, moins de harcèlement et de prélèvements de la part des forces de police. Elle permettrait également un accès facilité au crédit pour les conducteurs propriétaires de leur véhicule et les propriétaires-investisseurs afin de faciliter le renouvellement de la flotte des véhicules.

Ces éléments sont à considérer dans le cadre d’une approche plus générale de l’intégration urbaine des périphéries et de la nécessité pour l’action publique d’articuler urbanisme et mobilité. La prise en compte des clandos dans la planification les stratégies d’aménagement et de mobilité des périphéries permettrait d’encadrer un développement du système de mobilité qui se fait actuellement “par le bas”. Elle contribuerait enfin à renforcer des opportunités d’emploi dans un marché du travail très tendu.

Pape Sakho, Maître de conférences CAMES, Université Cheikh Anta Diop de Dakar; Gaele Lesteven, Researcher, LAET, École nationale des travaux publics de l’État; Momar Diongue, Lecturer and Researcher, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, and Pascal Pochet, Researcher, LAET, École nationale des travaux publics de l’État

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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