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Au Kenya, les dépenses électorales risquent de provoquer une inflation

Elections Kenya

Le président kényan Uhuru Kenyatta, le vice-président William Ruto, Raila Odinga, et son ancien colistier Kalonzo Musyoka

Au Kenya, le cash est de sortie. L’argent en circulation a atteint un niveau historique. Un phénomène dû en particulier aux dépenses électorales. Le Parlement kényan craint que cette campagne soit à l’origine d’une inflation.

Depuis avril dernier, le cash en circulation au Kenya est à son plus haut niveau historique. Selon les médias kényans, ainsi que la commission du budget du Parlement, ce phénomène est susceptible de causer un effondrement financier : selon les différentes prévisions, l’inflation pourrait augmenter de 32 %.

Car si autant de liquide est en circulation, ce n’est pas forcément parce que l’économie kényane va bien. En août dernier, la Commission électorale indépendante (IEBC) avait proposé un plafond aux dépenses de la campagne des élections générales de cette année.

Or, la loi a été massivement rejetée. Donc, dans les faits, la campagne électorale au Kenya n’a pas de limites de budget. La campagne de 2017 avait coûté aux alentours d’un milliard de dollars, et l’on estime que plus de 2 milliards vont être dépensés, en tout, pour les élections d’août 2022.

Lire : 2022, année d’élections et d’incertitudes en Afrique

Un montant qui correspond plus ou moins à l’argent liquide mis en circulation depuis le début de l’année. En 2021, les banques kenyanes avaient enregistré le plus haut seuil de devises en circulation : un peu plus de 31 millions de dollars. En avril 2022, 2,14 milliards de dollars ont quitté les chambres fortes des banques kényanes — en Shilling kényan, mais également en devises.

La crise économique pointe le bout de son nez, certaines banques commençant à déclarer leur insolvabilité.

Sponsoring, hélicoptères, bakchich… des campagnes bling-bling

Les élections à venir risque de coûter cher… Le seul financement de la campagne présidentielle, qui oppose le vice-président William Ruto au chef de l’opposition — soutenu par le président Uhuru Kenyatta — Raila Odinga, a déjà dépassé celui de la première élection de Barack Obama aux Etats-Unis en 2012.

Depuis début juin, la commission budgétaire du Parlement kényan estime qu’« il existe des preuves anecdotiques qu’à mesure qu’approchent les élections, il y a une augmentation drastique de la masse monétaire dans l’économie ».

Et de poursuivre que « la Banque centrale du Kenya devrait renforcer son mécanisme de surveillance pour assurer la stabilité monétaire en vue de contenir d’éventuelles pressions inflationnistes résultant de l’augmentation des dépenses de campagne ».

Selon Al Jazeera, rien qu’en 2020, les hélicoptères utilisés par des politiques kényans ont augmenté de 67 à 325. Du côté de Meta (la société mère de Facebook et Instagram entre autres), le sponsoring politique sur les réseaux sociaux depuis le Kenya a dépassé, pendant le premier trimestre de 2022, son seuil préalable de plus de 200 millions de dollars supplémentaires.

Quelques exemples qui montrent l’opulence de la campagne électorale au Kenya. Et les candidats, pour le Parlement ou la présidence, ne lésinent pas sur l’achat massif des votes.

Pas de limites… pas d’audit !

Pour le militant anti-corruption John Githongo, la campagne électorale kényane se transforme en « compétition de dépenses » qui mettra forcément à mal « l’intégrité du pays ». « Nos dernières élections (2017, ndlr) ont coûté près d’un milliard de dollars. Les dépenses par électeur sont parmi les plus chères au monde. Cette fois, nous empruntons malheureusement la même direction, en pleine crise économique », regrette Githongo.

Néanmoins, pour l’ancien candidat aux législatives, le journaliste d’investigation Boniface Mwangi, un audit des dépenses électorales devrait être imposé d’urgence. « Une administration publique devrait être auditée publiquement. Cela commence par les élections », estime Mwangi, qui avait accusé William Ruto de l’assassinat d’un journaliste en 2016. « Le financement de la campagne électorale est secret, ce qui signifie qu’il y aura illégalité, qu’il y aura des comportements criminels », déplore-t-il.

Toutefois, alors que se déroule ce scandale publiquement, les politiciens de tous bords continuent de refuser l’imposition d’un plafond de financement des campagnes. L’amendement de la loi électorale proposé en août dernier, rejeté soi-disant pour le « dépassement de l’échéance de 12 mois avant les élections générales », prévoyait un seuil de 44 millions de dollars de dépenses pour les candidats à la présidence, et de 3,7 millions pour les parlementaires (sénateurs et députés). Un plafond déjà élevé comparé au SMIC kényan de 130 dollars…

Des achats de votes qui coûtent cher

Pour rappel, les élections du 9 août prochain au Kenya marquent la fin du double mandat d’Uhuru Kenyatta. L’actuel président kényan est le fils du premier chef d’Etat du pays, Joromo Kenyatta. Le président soutient, cette fois, son némésis Raila Odinga, lui-même fils du premier vice-président du pays, Oginga Odinga.

En face, on retrouve le vice-président Willam Ruto, qui dit vouloir « libérer les Kényans du joug des dynasties politiques ». Ruto a réussi à rassembler 12 partis d’opposition derrière lui. Et même si les deux princes de la politique kényane, en face, disposent des fonds considérables de la coalition présidentielle Azimo La Umoja et du parti Jubilee, Ruto n’est pas à plaindre. La coalition du vice-président, Kenya Kwanza, est soutenue par plusieurs clubs de foot, par les syndicats, et la quasi-totalité des startups du pays. Au Kenya, justement, les startups forment une économie parallèle, probablement plus riche que l’Etat.

Le duel Ruto-Odinga, et de leurs coalitions, est une compétition où tout est permis. Et les deux hommes assument pleinement l’achat des votes. Un paradigme étrange. Pendant ce temps, s’il déplore d’éventuelles violences électorales, l’Occident continue de saluer la « démocratie exemplaire » au Kenya.

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