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Algérie-Maroc : Une course effrénée à l’armement

Alors que le Maroc met en place son industrie nationale d’armement, l’Algérie a finalisé un contrat de 7 milliards de dollars avec la Russie. Une nouvelle course à l’armement oppose les deux voisins nord-africains. Pourquoi ?

En marge du conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI à Fès, ce lundi 28 juin, la monarchie marocaine a délibéré sur une future industrie d’armement nationale. Pendant ce temps, le chef d’état-major algérien Saïd Chengriha ressuscitait les achats d’armes russes intentés par son défunt prédécesseur. En effet, un contrat d’armement dont la valeur est estimée à 7 milliards de dollars s’est retrouvé en suspens depuis la mort d’Ahmed Gaïd Salah.

Les deux voisins d’Afrique du Nord investissent dans l’équipement militaire, l’armement lourd, la diplomatie militaire et la cyberdéfense depuis quelques mois. Plusieurs dossiers opposent le Maroc et l’Algérie. En l’occurrence, le conflit sempiternel du Sahara occidental et l’approche vis-à-vis de la Libye. Mais pas seulement, car l’Algérie entend aussi reprendre un rôle plus actif dans la lutte antiterroriste au Sahel. Par ailleurs, la visite de trois jours de Chengriha à Moscou, précédée par celle des patrons d’armement russes le 17 juin à Alger, avait abordé ce sujet parmi d’autres.

Si d’un côté, l’Algérie se dote d’une puissante armée et d’une alliance stratégique avec la Russie. Le Maroc, lui, s’appuie plus sur l’OTAN, la France et Israël dans le développement de sa force militaire. La monarchie marocaine est aussi munie d’un service de renseignements particulièrement efficace.

L’Algérie cherche à maintenir sa domination militaire

Néanmoins, les capacités militaires des deux pays ne sont aucunement comparables. Malgré que le Maroc ait essayé de combler le gap en vue de rester menaçant, l’Algérie est le 6e importateur d’armes au monde et détient la seconde armée plus large et logistiquement flexible d’Afrique.

Toutefois, la course à l’armement a commencé depuis l’avènement du nouveau contexte sahraoui. Le Maroc a déclaré ses intentions « d’écraser le Front Polisario ». L’Algérie, elle, a renouvelé sa coopération avec Ibrahim Ghali, ce qui a suscité une crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, ensuite un différend entre Rabat et Berlin.

L’Algérie est restée imperturbable, cependant. L’état-major algérien se focalise sur d’autres fronts, comme ceux avec ses voisins immédiats. Sur la frontière libyenne, l’Algérie fait face à une « impasse mexicaine » avec les forces du maréchal Haftar. En Mauritanie, Chengriha essaye de ressusciter le Cemoc, une alliance militaire antiterroriste réunissant les pays sahéliens et l’Algérie. Quant au Mali, le président algérien Tebboune a exprimé qu’Alger serait prêt à reprendre la place de Barkhane si la France abandonne Bamako.

Ces fronts africains de « diplomatie militaire » sont actuellement inaccessibles au royaume chérifien. La diplomatie souverainiste de la monarchie marocaine traite de plus en plus avec l’Occident, et de moins en moins avec les pays africains. Cet exode marocain a commencé avec sa normalisation diplomatique avec Israël, qui avait exclu le Maroc du projet de la nouvelle union du Maghreb et envenimé ses relations avec les pays d’Afrique australe, entre autres.

La ligne dure des alliances militaires algériennes, elle, est restée inflexible. Un choix que le HCS et l’Etat algériens peuvent se permettre grâce à un appui national et une continuité de l’Etat remarquables.

Alger, la Mecque des révolutionnaires

L’Algérie a plus de 300 ans de résistance aux envahisseurs dans son Histoire. Ainsi qu’un capital panafricain séculaire, promu par son statut de « Mecque des révolutionnaires ». Sur le plan africain, malgré une nette supériorité du Maroc au niveau financier, l’intelligentsia panafricaine présente souvent l’Algérie comme un géant.

En effet, l’armée algérienne est un géant dormant, qui a permis au pays de maintenir sa souveraineté pendant la guerre froide et jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi l’une des rares anciennes colonies françaises à tenir tête au néocolonialisme français. Le Maroc, en contrepartie, a vu l’intention homologue entravée par le régime monarchiste. Et, donc, le succès économique de Mohamed VI est souvent représenté comme un succès personnel du souverain marocain. Alors qu’en Algérie, malgré les désaccords politiques, le patriotisme des populations est un cas d’étude.

Lorsqu’il s’agit de puissance militaire, le patriotisme est un facteur prépondérant. Selon la spécialiste Sümbül Kaya, les régimes politiques hautement militarisés ne peuvent réussir que grâce au patriotisme. C’est cette qualité algérienne qui la promeut aux yeux de ses voisins immédiats et des autres pays africains. Alors que le Maroc procède à de lourdes concessions auprès de ses alliés occidentaux, afin de s’imposer brusquement en Afrique, l’Algérie entretient des relations plus fluides et transparentes avec les autres pays africains.

Donc, pendant que le Maroc construit son oléoduc qui passe par la côte Ouest du continent, afin de signer sa coopération avec le Niger, l’Algérie est plus directe. La Transsaharienne relie tous les pays sahéliens, de l’Afrique du Nord, jusqu’à Lagos, en passant de Bamako jusqu’à Agadez au Niger. Cet axe routier n’est qu’un exemple parmi d’autres. Car l’Algérie, pour un pays régi par les militaires, est plus proche du Mali, du Niger, du Nigéria, de la Mauritanie, de la Libye etc. que le Maroc, qui se veut plus « démocratique ».

Maroc : verser de l’eau dans le sable

Ensuite, si l’on compare l’approche de l’Algérie et du Maroc quant à une intervention militaire au Sahel, en Libye ou dans le Sahara, les différences sont encore plus profondes. L’Algérie a fait don d’une académie militaire au Mali, d’équipement militaire au Niger et prend en charge l’entrainement d’officiers de toute l’Afrique subsaharienne, inconditionnellement.

L’Algérie a aussi réfuté une intervention directe au Sahel. Elle ne s’est pas mêlée de la guerre civile libyenne au-delà des pourparlers entre ses diplomates et le GNU passé d’el-Sarraj. Surtout, Alger ne considèrerait un déploiement militaire au Sahel que sous l’égide de l’Union africaine. Et a toujours encouragé le pouvoir marocain à trouver une issue pacifique avec le Front Polisario.

Pendant ce temps, la diplomatie marocaine proclame que la Libye est « un problème nord-africain ». La monarchie marocaine réclame la « marocanité » du Sahara occidental sur fond d’une approbation américaine. Dans le dossier sahélien, le Maroc ne participe que dans le cadre des réunions du G5 Sahel qui est, rappelons-le, une initiative française en marge de l’Alliance Sahel. Enfin, à part quelques officiers tunisiens que le Maroc a inclus à ses exercices militaires sous l’OTAN, le royaume ne collabore militairement qu’avec des pays occidentaux, et Israël, bien entendu.

Donc, non seulement les achats d’armement du Maroc ne le rapprochent nullement de la capacité militaire algérienne. Mais, de plus, les objectifs sont bien différents. La monarchie marocaine considère la fabrication d’armes comme un objectif, alors que l’Etat algérien importe ses armes pour maintenir ses relations avec ses alliés africains et rester prompt à intervenir dans les régions fragiles des pays amis.

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