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60 ans d’unité africaine : les succès et les échecs

L’Union africaine tient la comparaison avec les autres unions continentales. Elle accomplit davantage que le Commonwealth ou la Francophonie, estime le politologue Keith Gottschalk.

Cette année, la Journée de l’Afrique marque les 60 ans de la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Cet anniversaire soulève la question suivante : dans quelle mesure la vision des pères fondateurs de l’OUA s’est-elle concrétisée 60 ans plus tard ? Qu’est-ce qui n’existerait pas sans les efforts de l’organisation et de son successeur, l’Union africaine ?

Lors de la création de l’OUA, deux visions concurrentes s’affrontaient. Kwame Nkrumah, le président du Ghana, dans son discours Africa must Unite (L’Afrique doit s’unir), avait plaidé en faveur d’un fédéralisme continental, d’une Union des États africains, d’un corps diplomatique continental, d’un ministère de la Défense et d’un marché commun.

Il avait été massivement mis en minorité par d’autres présidents qui refusaient d’abandonner leur souveraineté. L’OUA, créée le 25 mai 1963, s’inspire donc de l’Organisation des États américains. Il s’agit d’une organisation intergouvernementale dont la charte l’engage à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de ses États membres, même en cas de massacres. Elle s’inspirait des précédents établis par l’ONU, de la Ligue arabe et de l’Organisation des États américains, et plus tard de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE).

L’OUA s’est engagée dans la décolonisation, y compris la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et du régime des colons en Rhodésie du Sud (Zimbabwe). Elle a exercé un lobbying diplomatique herculéen et a pesé sur des sanctions pour y parvenir. Son Comité de libération, basé à Dar es Salaam (la capitale économique tanzanienne), a fait don d’armes et de fonds aux insurrections en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Namibie, en Angola et au Mozambique.

L’OUA était une réalisation du panafricanisme centrée sur l’État. Elle a lancé toute une série d’ONG continentales, dont le siège était abrité par l’un ou tout autre des États membres. Nous allons juste citer un exemple : elle a soutenu le lancement de l’Association des écrivains panafricains. Le Ghana s’est engagé à fournir à cette association des locaux et des équipements pour qu’elle puisse fonctionner. Le Ghana s’est également engagé à lui fournir des locaux pour son siège.

Un développement qui n’avait pas été prévu lors de la création de l’OUA en 1963 a été l’établissement ultérieur de communautés économiques régionales. Il en existe plus d’une douzaine. Sur les huit officiellement reconnues par l’UA, les plus importantes sont la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Ces trois zones sont des zones de libre-échange et, du moins sur le papier, la CEDEAO et la CAE sont des unions douanières. Elles constituent toutes des tremplins vers ce marché commun continental pour lequel Nkrumah avait fait pression en 1963.

En tant que politologue qui a fait des recherches sur l’OUA et l’UA, j’affirme que ces organisations ont obtenu de bien meilleurs résultats que la plupart d’organisations similaires dans le monde, bien qu’elles aient également connu plusieurs faiblesses.

Les succès

L’une des réussites de l’UA est son prestige croissant. Après sa création en 2002, Wikipédia n’a pas considéré qu’elle méritait une entrée jusqu’en 2011. Mais aujourd’hui, 50 États non africains accréditent des ambassadeurs auprès de l’UA. La diaspora a demandé à être incluse pendant le mandat du président sud-africain Thabo Mbeki, et elle est désormais officiellement reconnue comme la “sixième région” de l’UA depuis 2003. Les nations des Caraïbes, membres du CARICOM, ont récemment établi des liens formels avec l’UA : il s’agit de nations d’ascendance africaine, arrachées à l’Afrique au cours des siècles de traite des esclaves.

L’architecture de l’UA pour le maintien et le rétablissement de la paix n’a pas d’équivalent dans l’Organisation des États américains, la Ligue arabe ou l’ANASE. Alors que la plupart des organes de l’UA ne se réunissent que deux fois par an, le Conseil de paix et de sécurité se réunit deux fois par mois depuis sa création en 2004.

Des dizaines de missions militaires ad hoc aident les gouvernements à réprimer le terrorisme partout, du Sahel au nord du Mozambique. Divers casques bleus de l’UA et des commissions économiques régionales ont servi dans les nombreuses guerres civiles de la République démocratique du Congo pendant des décennies.

Quelques premiers soldats de la paix de l’Union africaine arrivent dans la capitale somalienne, Mogadiscio, en mars 2007.
Ali Musa/AFP via Getty Images

L’UA cherche à jouer un rôle dans la gouvernance mondiale. Elle tente de négocier que l’Afrique parle d’une seule voix au sein des organisations internationales. Étant donné que certaines des décisions économiques les plus importantes concernant l’Afrique sont prises en dehors du continent, l’urgence de cette démarche s’explique d’elle-même. L’UA dispose de son propre corps diplomatique embryonnaire, avec des missions diplomatiques permanentes à Bruxelles (pour négocier avec l’UE), à Pékin, au Caire (pour négocier avec la Ligue arabe) à New York (aux Nations unies), et à Washington (pour négocier avec la Banque mondiale et le FMI).

Kwame Nkrumah a lancé un appel en faveur d’un marché commun africain dès 1963. Le Traité d’Abuja de 1994 proposait un calendrier élaboré de 34 ans pour y parvenir. La première étape réelle vers une telle intégration économique est la Zone de libre-échange continentale africaine – dirigée par un secrétaire général sud-africain, Wamkele Mene. Il est clair qu’il faudra au moins une décennie pour y parvenir. Mais le prix de la “défragmentation de l’Afrique”, comme l’appelle la Banque mondiale, vaudra bien les efforts herculéens de lobbying et de négociation qu’il faudra déployer. La zone de libre-échange continentale africaine négocie actuellement des “règles d’origine” et des mécanismes de règlement des différends dans le cadre de ses premières étapes.

L’UA s’efforce d’établir des normes. Le Traité d’Abuja de 1991 est certainement la tentative la plus ambitieuse au monde d’importer les institutions et les normes de l’UE sur un autre continent, ce qui n’a bien sûr été que partiellement couronné de succès.

Peu de membres de l’UA ont mis en œuvre la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. En revanche, une majorité de pays ont adhéré, l’un après l’autre, au Mécanisme africain d’évaluation par les pairs qui, à l’instar de l’UA, vient de fêter son vingtième anniversaire. Cela fait partie de la pression des pairs vers le constitutionnalisme, et contre les autocrates.

Les ratés

L’un des échecs de l’UA est de ne pas avoir empêché les coups d’État en série. Il y a eu plus de 200 coups d’État depuis l’indépendance dans les années 1960. La raison évidente est que l’organisation continentale n’envoie jamais d’intervention militaire pour réprimer les putschistes, les capturer et les traduire en justice pour trahison. Il se limite à des pressions diplomatiques à leur encontre, comme la suspension de leur adhésion.

En 2016, l’UA a lancé une campagne pour “faire taire les armes d’ici 2020”. Malheureusement, cette campagne s’est avérée incapable d’empêcher les coups d’État et les insurrections terroristes de se poursuivre, de sorte que le slogan a été reformulé en “faire taire les armes d’ici à 2030”. Il reste à voir si les guerres pourront être supprimées sur l’ensemble du continent africain d’ici 2030.

Un autre échec est d’amener les États membres à payer leurs cotisations annuelles. Il est clair que les sanctions actuelles de suspension, qui n’entrent pleinement en vigueur que lorsqu’un État accuse un retard de paiement de deux ans, ne sont pas dissuasives. L’UA devrait certainement suivre la pratique universelle des banques, à savoir que si un client accuse un retard de plus de deux mois dans le remboursement d’une obligation hypothécaire, des sanctions complètes sont mises en œuvre.

L’UA envoie souvent des observateurs électoraux dans les pays pour surveiller le déroulement des élections et, espérons-le, empêcher le trucage des votes sous ses diverses formes. Elle a été critiquée pour sa réticence à censurer les régimes en place qui font pencher la balance lors des compétitions électorales en faveur du pouvoir.

Pierre angulaire

En conclusion, on peut comparer l’UA à ses pendants des pays en développements tels que l’ANASE, l’Organisation des États américains et la Ligue arabe. L’UA est plus performant que le Commonwealth ou la Francophonie. Seule l’UE a une longueur d’avance, car son budget est trois fois supérieur à celui de l’UA.

L’UA a posé des jalons en vue d’une réalisation des objectifs de ses fondateurs. La fin des coups d’État et des guerres civiles, la mise en place d’un marché commun africain et la possibilité pour l’Afrique de parler d’une seule voix dans la gouvernance mondiale sont des objectifs louables qu’il faut continuer à poursuivre.

Keith Gottschalk, Politologue, University of the Western Cape

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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